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de tous les pays, celle de Londres particulièrement, protesta contre une entreprise qu’elle qualifiait avec une extrême sévérité : « Toute la transaction, disait le Times, porte le caractère d’un coup d’État vulgaire et impudent. L’élection d’un prince à un trône comme celui d’Espagne devrait être un acte digne et solennel, accompli ouvertement à la face du monde et accompagné de communications franches et loyales avec les puissances amies… S’il n’y avait rien d’hostile à la France dans cette négociation, pourquoi la lui cacher ? Ce raisonnement, des milliers de Français le feront, et il ne sera pas facile de détruire cette impression… Il n’est pas dans la nature humaine de ne pas ressentir vivement une perfidie, et cette affaire est, pour les Français, une perfidie des plus désagréables. »

Devant cette réprobation universelle, le roi ne tarda pas à se convaincre qu’en persistant dans la voie où on l’avait entraîné, on en viendrait certainement à la guerre, mais qu’il lui serait malaisé d’en décliner la responsabilité. L’attitude de la France avait trompé ses prévisions ; elle avait senti l’offense, elle avait témoigné ses intentions ; mais elle les avait manifestées sans prendre aucune mesure compromettante pour elle, blessante pour la Prusse, et sa conduite avait rencontré l’approbation de tous les gouvernemens. La provocation n’ayant pas donné les résultats qu’il en attendait, le roi se ravisa ; son parti fut bientôt pris. Il reçut l’ambassadeur de France, et contrairement à ses habitudes personnelles, à toutes les traditions de sa maison, il consentit à s’expliquer, à rechercher, de concert avec lui, le moyen de mettre fin à ce grave difféfznd. Il ne prit conseil que de lui-même, et ne s’inspira que des avertissemens qui lui étaient amicalement adressés de Londres et surtout de Pétersbourg. Accouru de Varzin à Berlin, M. de Bismarck voulut arriver à Ems ; il n’y fut pas autorisé. Le roi redoutait son action personnelle à ce moment ; il le tint éloigné des négociations, et voulut les poursuivre lui-même, estimant sans doute qu’on l’avait mal ou prématurément engagé.

Il ne renonçait pas toutefois à l’espoir de mettre les choses à point en faisant surgir de ces pourparlers des difficultés et des complications conformes à ses désirs. Il concéda le désistement du prince Léopold ou plutôt il promit, dès le premier jour, de l’approuver, mais il refusa de prendre l’engagement de l’exiger. Il se concerta avec le prince Antoine pour que la renonciation de son fils se produisît sous un mode et dans des conditions désobligeantes pour la France. En sacrifiant le fond il s’appliqua, avec un art infini, nous devrions dire avec une merveilleuse perfidie, à trouver, dans la forme, le moyen de compromettre le gouvernement impérial. On sait qu’il n’y a que trop bien réussi.