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que les rôles étaient intervertis. C’était désormais la France qui devait des satisfactions à la Prusse, et la Prusse entendait les obtenir, ou bien elle ne resterait ni tranquille, ni pacifique. Il est cependant à remarquer que le gouvernement impérial, provoqué par une interpellation partie des bancs de la gauche, s’est expliqué, dans la séance du 6 juillet, sur la candidature du prince Léopold. Jusqu’au 13, ni le roi ni son gouvernement ne relèvent un outrage dans les paroles prononcées, en cette occasion, par le duc de Gramont ; les négociations sont ouvertes à Ems, elles sont poursuivies, sans qu’on annonce l’intention d’en demander le redressement. Le 13, tout est changé : l’offense existe ; elle a atteint le roi et la nation, et l’on réclame hautement une réparation ; on la veut éclatante, publique, entre les mains de toutes les puissances. La France doit se rétracter dans une forme solennelle et jusque-là inusitée, ou bien l’Allemagne sera mise dans l’obligation d’aviser. M. de Bismarck présumait avec raison que la France ne subirait pas une pareille humiliation, qu’elle préférerait en appeler au sort des armes, et il eût été bien déçu, comme le roi d’ailleurs, si elle avait accepté, dans les conditions auxquelles il entendait la lui imposer, l’expiation de ses prétendus méfaits. L’événement n’a que trop justifié ses prévisions. Devant les injures et les prétentions de la Prusse, la France déclara la guerre sans attendre, comme l’Autriche en 1866, que son territoire fût envahi par les armées allemandes qu’on mobilisait à toute hâte. Mais on ne saurait contester que la Prusse l’a imposée, et que sa résolution de l’entreprendre était à ce moment irrévocablement arrêtée. Nous en trouvons une dernière preuve dans les documens diplomatiques publiés à Londres à cette époque. L’Angleterre prit, le 14 juillet, l’initiative d’une proposition parfaitement satisfaisante pour la Prusse : « Le roi, suggérait-elle, ayant autorisé le prince Léopold à accepter la couronne d’Espagne, est, dans un certain sens, devenu partie dans l’arrangement ; il peut de même, avec une parfaite dignité, communiquer au gouvernement français son consentement au retrait de l’acceptation et la France renoncerait à sa demande d’un engagement garantissant l’avenir[1]. » Quel accueil M. de Bismarck fit-il à cette ouverture, qui était certainement de nature à tout concilier ? Sa réponse fut hautaine et laconique. Il télégraphia à l’ambassadeur de Prusse à Londres « d’exprimer son regret que le gouvernement de Sa Majesté britannique ait cru devoir faire une proposition qu’il ne pouvait recommander à l’acceptation

  1. Dépêche de lord Grandville à lord Loftus, à Berlin, en date du 14 juillet. — (Documens anglais, 1870.)