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avec le parti révolutionnaire et tous les ennemis de l’Autriche : — la publication du général La Marmora est édifiante à cet égard ; — et il tolérait cela, il conservait à M. de Bismarck toute sa confiance. En toute occasion, nous le répétons, il a affirmé qu’il ne nourrissait aucune pensée agressive ou belliqueuse. A plusieurs reprises, il a même employé des agens confidentiels à négocier ou du moins à préparer un accommodement avec le cabinet de Vienne, à l’insu de M. de Bismarck[1] ; mais rien ne le détournait du chemin qu’il s’était tracé, et il en détournait encore moins son ministre, qu’il aurait pu cependant révoquer, à l’universelle satisfaction de ses sujets et de l’Europe entière. Sa morale politique conciliait, dans la paix de sa conscience, tous ces actes contradictoires.

Il est donc permis de dire que, depuis le début de son règne, où il congédiait le ministère de l’ère nouvelle, jusqu’à l’année terrible, Guillaume Ier a suivi, sans jamais s’en écarter, une politique qui lui était propre ; qu’il en avait marqué et défini le but avant l’arrivée de M. de Bismarck au pouvoir ; qu’il a enfin pris une part active et toujours prépondérante dans la direction qui lui a été imprimée. Il s’effaçait, certainement, quand il le jugeait utile au bien des affaires, souvent pour éviter d’engager sa personne ou de compromettre la dignité de sa couronne ; il avait recours à des moyens qui ne se justifient que par le but qu’il poursuivait. À cette fin, il rendait hommage lui-même au mérite des hommes dont il s’était entouré, aux services qu’ils lui rendaient. M. de Moltke a commandé ses armées, M. de Bismarck a paru diriger sa politique avec une entière indépendance ; ils se sont illustrés, l’un et l’autre, sans que jamais il en ait témoigné la moindre jalousie, sans qu’il ait tenté de détourner, à son profit, une part quelconque de la gloire qu’ils ont conquise. Mais il intervenait sans cesse et il s’imposait au besoin. Il n’a jamais rien aliéné de son autorité, et les suprêmes résolutions n’ont jamais été prises qu’alors qu’il les jugeait lui-même bien conçues, bien préparées, et opportunes.

Assurément, on aurait pu, comme le demandaient les généraux, entreprendre la guerre, soit contre l’Autriche, soit contre la France, en d’autres momens, particulièrement avantageux au point de vue purement militaire ; mais il aurait fallu, comme Frédéric II envahissant la Silésie, avoir l’audace d’avouer qu’on y était entraîné par l’esprit de conquête. Notre époque ne comporte plus de pareilles témérités, et le roi se conduisit en habile politique en attendant l’occasion de faire la guerre sans offenser trop ouvertement le droit public, sans s’exposer à une entente, sinon à une coalition

  1. Voir Un peu plus de lumière, p. 288.