Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tourner lèvent de la popularité et de la faveur, des qualités dont on avait peut-être apprécié jusque-là le mérite et surtout la rareté, paraissaient des singularités insupportables. La familiarité de sa conversation, peu conforme, il est vrai, aux usages diplomatiques, mais qui avait paru d’abord vive et piquante, était taxée de trivialité et de grossière ignorance des usages. Sa candeur, qui le portait à dire souvent ce que, dans son propre intérêt, il eût mieux fait de taire, n’était plus qu’une indiscrétion qui ôtait toute sûreté à son commerce. Enfin, tout lui réussissait mal, même des actes en soi bien conçus et qui, dans d’autres circonstances, n’auraient trouvé que des approbateurs.

Ainsi, informé du travail incessant que l’Angleterre faisait à Lisbonne pour se ménager, par l’intermédiaire du beau-père de Ferdinand VI, un arrangement particulier avec la cour de Madrid, il avait eu la pensée d’aller au-devant lui-même de cette transaction clandestine en engageant le roi de Portugal à offrir d’une façon générale ses bons offices à toutes les parties belligérantes. C’était un dessein assez heureusement imaginé, car on disputait ainsi à l’Angleterre un terrain où de vieux souvenirs paraissaient lui ménager un avantage, et on s’assurait que rien ne serait conclu à Lisbonne à l’insu de la France et à son détriment. La proposition, bien que flatteuse pour la vanité d’un petit état, ne fut pas agréée sans peine, car le roi Jean V et son premier ministre, le cardinal de Molla, étaient l’un et l’autre des vieillards cacochymes, peureux et ne songeant qu’à vivre en paix au milieu des difficultés européennes sans se créer trop d’embarras. Quand on les eût décidés enfin à force d’instances à faire une démarche quasi-officielle, ce fut avec une extrême timidité et beaucoup de réserves, en protestant que si le Portugal s’offrait comme conciliateur, il n’avait nul dessein de s’imposer et surtout d’aller sur les brisées des plénipotentiaires réunis à Breda. Malgré ces précautions, précisément parce que la manœuvre déjouait une intrigue qu’on espérait voir aboutir, elle lut très mal prise à Londres, à Vienne, et même à Madrid, où la reine d’Espagne, qu’on avait eu le tort de ne pas prévenir, se montra fort blessée que son père se fût mis en avant sans la consulter. On traita de haut cette ingérence intempestive d’un souverain sans importance dans des affaires où il n’avait rien à démêler. Aux premiers signes de mécontentement qui leur furent donnés, roi et ministre portugais reculèrent avec une sorte d’effroi, et comme d’Argenson, avec l’intempérance de langue qui ne lui était que trop habituelle, avait eu l’imprudence de se vanter de leur intervention comme d’un succès personnel, ce fut sur lui qu’ils furent très empressés de rejeter toute responsabilité du tort qu’on leur reprochait. Le cardinal-ministre