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paraître un peu outrecuidant, sur quels points elle me paraît fautive.

C’est une doctrine en honneur chez les économistes classiques, — j’entends par là ceux qui ont fondé la science à la fin du siècle dernier ou au commencement de celui-ci, — que la société idéale est celle où l’État se réduit à la moindre action. Suivant eux, les attributions de l’État ne sauraient être trop restreintes ; elles devraient se borner à un mécanisme tout matériel : entretenir l’armée, assurer le bon état des voies de communication et veiller à la sécurité des citoyens. D’attributions morales il n’en a point et ne saurait en avoir. Cette conception de l’État sergent-recruteur, cantonnier et gendarme est à mes yeux beaucoup trop étroite[1]. L’État n’est pas seulement tout cela : il est encore une personne morale ; comme tel, il a des droits et surtout des devoirs. Ces droits sont multiples ; ces devoirs sont complexes. Pour les mieux préciser, j’en indiquerai successivement la nature.

L’État, j’entends par là la puissance publique, qu’elle s’exerce par le pouvoir central ou par le pouvoir municipal, est d’abord le gardien de l’hygiène, de l’hygiène publique et de l’hygiène morale. Comme il lui appartient de prendre des mesures pour prévenir la naissance des épidémies ou arrêter leur marche, il lui appartient également de veiller d’une manière générale à ce que la vie des citoyens s’écoule dans les conditions d’une bonne hygiène. Comme il lui appartient de réprimer, en vertu du code pénal, les outrages à la morale publique, de même il lui appartient, par des mesures préventives, d’empêcher ces outrages. Faisant application de ces principes, qui sont de droit commun, au monde du travail, l’État peut et doit, par conséquent, veiller aux conditions hygiéniques dans lesquelles travaillent les ouvriers. Comme il impose depuis quelque temps, aux logeurs en garni, de maintenir dans leurs dortoirs un certain cube d’air, de même il peut et doit imposer aux industries insalubres et dangereuses, et même à toutes les industries en général, des précautions qui protègent la vie et la santé des ouvriers. La législation qui existe sur ce point est à refaire et à étendre. L’État peut aller plus loin. Il peut et il doit, dans les industries où les hommes et les femmes sont employés en commun, prescrire certaines mesures d’hygiène morale qui soient de nature à assurer le respect des bonnes mœurs. Je citerai comme exemple, et pour l’approuver, l’interdiction du travail des femmes dans les mines. C’est là un pouvoir d’une nature délicate à

  1. Dans une série d’études publiées ici-même, M. Paul Leroy-Beaulieu a développé une conception beaucoup plus large des attributions de l’État. C’est grande sécurité d’esprit pour un profane comme moi de me trouver d’accord sur un grand nombre de points avec le brillant chef de la nouvelle école économique.