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grevaient toute instance et tout partage judiciaires, lenteurs étirais qui inspirent à l’ouvrier la terreur de ce qu’il appelle la justice. Il serait urgent également, soit par un changement de juridiction, en multipliant les conseils de prud’hommes, soit par une extension de compétence, en étendant les attributions des juges de paix, de faciliter à l’ouvrier la décision rapide et peu coûteuse des litiges où il est intéressé, qu’il s’agisse d’une question de salaires ou d’accidens. Sur ce dernier point surtout la réforme est urgente, car il est monstrueux, comme j’en ai vu l’exemple, que la veuve d’un ouvrier qui demande la réparation du préjudice que lui a causé la mort de son mari, se voie traînée pendant deux ou trois ans en première instance et en appel. Ce sont les dispositions du titre XXIV relatif aux matières sommaires qui devraient être appliquées par les tribunaux de première instance en cas d’accidens ; et cette simple réforme serait peut-être plus utile que toutes les lois qu’on prépare aujourd’hui, bien qu’il y ait lieu cependant de légiférer à nouveau sur cette matière et que les principes généraux de l’article 1382 du code civil ne suffisent plus à régler la question des accidens industriels.

Enfin, à un autre point de vue plus élevé, mais non pas moins pratique, il conviendrait également de réviser, en se préoccupant de l’influence qu’elles exercent sur les mœurs populaires, certaines dispositions du code relatives à la législation des personnes : je veux parler de celles qui ont trait au mariage et à la filiation. Ici encore le code a été fait pour les censitaires. Soucieux d’assurer le repos et la décence dans le sein des intérieurs bourgeois, les auteurs du code se sont avant tout préoccupés de prévenir les mariages imprudens ou scandaleux. Ils ont voulu que les fils de famille, même de très petite famille, ne pussent épouser des danseuses, ou du moins que cela leur fût extrêmement difficile. Partant, ils ont accumulé les nécessités et les formalités du consentement des ascendans sans prévoir que par là ils allaient rendre ainsi plus difficile le mariage lui-même. Ces formalités sont tellement compliquées et coûteuses qu’elles ont fait du mariage « un luxe pour les classes pauvres, » expression que j’ai déjà empruntée à un concierge, car dans la vie populaire c’est une grande autorité que le concierge. Ceux qui connaissent les mœurs de la jeunesse ouvrière, jeunesse dont il faut s’occuper aussi, ne me démentiront pas si je dis que notre législation sur le mariage a surtout pour résultat de multiplier le concubinage, et j’appelle sur ce point l’attention de nos législateurs avec d’autant plus d’insistance, que je sais n’être pas seul de mon avis et que nos voisins les Belges devraient leur servir d’exemple.

La même préoccupation bourgeoise a inspiré les auteurs du