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dans la satire comme les Chevaliers, irréel comme les Oiseaux. Il est sorti d’une fête printanière, à demi païenne, comme la comédie athénienne est née du culte de Dionysos. Les « belles dames parées » qui volent sur la prairie ne sont pas moins gracieuses (au moins dans l’intention du poète) que les « vierges humides de rosée, » les Nuées « qui s’élèvent du sein de leur père, l’Océan, et montent en vapeurs légères aux sommets boisés des montagnes. » De même que Socrate, assis sur les gradins du théâtre, regardait son Sosie juché en l’air dans un panier à viande, de même tel gros personnage d’Arras, Jakemon Louchart ou Thomas de Bouriane, pouvait voir son image tourner, attachée à la roue de Fortune. Il y a surtout cette ressemblance certaine que le Jeu de la Feuillée est, comme la comédie grecque, la création spontanée d’une démocratie vivace, agitée par des factions, et qu’il vit, comme la comédie grecque, de la satire des personnages principaux de cette démocratie. Mais, s’il est permis de constater ces indéniables rapports, peut-on comparer plus longtemps l’ébauche fruste d’Adam aux comédies aristophanesques, Arras à cette Athènes que célèbre le chœur des Nuées, « à l’antique Athènes, couronnée de violettes, la belle et brillante ville, qui porte sur sa chevelure la cigale d’or ? » La différence essentielle n’est-elle pas celle-ci ? Nous savons pour quelles grandes causes se passionnait au théâtre le peuple athénien, et que ses procès sont encore parfois ceux que débattent les hommes d’aujourd’hui ; nous savons qu’Athènes travaillait à être la métropole intellectuelle, et, disait Périclès, l’école de toute la Grèce. Mais, les bourgeois d’Arras, pour quelle cause luttent-ils ? Et pour quelle idée lutte le poète ? A qui en veulent ces satires ? Que nous font, à nous, ces querelles municipales, d’échevin à échevin ? Ces hommes n’ont pas conçu une autre forme politique que la féodalité, une autre forme religieuse que leur dévotion ironique, un autre idéal moral que l’honnêteté selon le siècle. Participant à cette « impuissance du moyen âge à concevoir autre chose que lui-même, » mal faits pour le rêve comme pour la colère, ignorans de toute inquiétude morale, ils se sont reposés dans un optimisme de gens satisfaits. Il leur a manqué le sens de l’effort. Ils n’ont songé qu’à réaliser leur idéal de prudhomie, qui est l’art de bien vivre, et l’ensemble des vertus médiocres. Le Jeu de la Feuillée a pu les passionner ; que nous importe aujourd’hui ?


II

La seconde pièce d’Adam de la Halle, le Jeu de Robin et de Marion, nous transporte de ce monde mi-prosaïque, mi-fantastique,