Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/932

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aventureux, lui, pour s’y enfermer pendant longtemps, on a bien vite fait le tour de ce cachot. Quoi qu’il en soit, dans cette prison volontaire, l’œil de M. Ribot s’est singulièrement affiné ; il démêle, sur les visages le plus souvent vulgaires et bourgeois, mais bons et honnêtes qu’il analyse, toutes sortes de taches, de reliefs, de plissemens, de lueurs, dont il nous redit les étrangetés et les complications avec un si vif plaisir de peintre qu’il nous le fait partager. Parfois même il joint à cette savoureuse facture une intensité d’expression assez remarquable. Des études comme la Femme aux lunettes et la Flamande valent de beaux portraits. On ne s’imagine pas une école entière se condamnant à la virtuosité noire et blanche de M. Ribot, non plus qu’à celle de M. Henner ou de M. Carrière ; mais quand cette virtuosité porte des fruits si savoureux, il faut bien l’accepter. La vraie peinture est bonne à prendre, de quelque endroit qu’elle vienne ; les bons ouvriers font les bons artistes.

Le grand succès du Champ de Mars est pour M. Carolus Duran. Du moment qu’il s’agissait de faire brillant et de faire vite, on était sûr de trouver là ce magnifique improvisateur. L’idée d’une lutte nouvelle l’a mis en verve. Tandis que, chez la plupart de ses camarades, moins bien outillés ou moins bien doués, ce grand coup de fouet n’a amené que de piteux résultats, pour lui, cette entrée en campagne a été l’occasion immédiate de faire résonner à la fois toutes les sonorités de son riche clavier, de faire chatoyer toutes les nuances de sa palette multicolore. Ni rigoureux dessinateur, ni physionomiste profond, M. Carolus Duran est pourtant un portraitiste rare et supérieur par la sincérité qu’il apporte à rendre, dans tout son éclat et toute sa variété, la première et saisissante apparence des êtres vivans, par l’aisance et par la verve avec lesquelles il les campe et les anime dans la vérité de leurs allures, de leur air, de leurs ajustemens. Voici qu’il nous montre, sur une seule rangée, quatre portraits de jeunes femmes en pied, tous d’un aspect différent. La première, la Princesse de ***, tenant son éventail, est en robe décolletée, d’un blanc doré, avec un grand manteau violacé, costume de soirée dans le goût empire ; la seconde, Mme ***, s’avance, devant une tenture jaune, en robe noire bien ajustée à reflets bleuâtres, portant haut la tête dans une large collerette montante, costume de cérémonie dans le goût Louis XIII ; la troisième, Mlle S…, une toute jeune fille, une brunette fraîche et rose, en toilette de ville, porte un délicieux costume gris, avec ceinture et jabot rosés ; la quatrième, Mme ***, beauté svelte et correcte, d’une allure élégante et vive, les bras nus, les épaules nues, portant au front le croissant de Diane, se