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nouveau, en rendant la liberté à M. le duc d’Orléans, il s’est cru obligé d’apaiser, de désarmer les radicaux par d’autres grâces. Entendons-nous : il ne s’agit sûrement pas de contester ou de limiter les grâces accordées par la « magnanimité de la république, » comme dit M. le président du conseil, à des malheureux entraînés par les agitateurs dans les manifestations et les grèves. Ce qu’il y a de réellement caractéristique, c’est cette sorte d’affectation avec laquelle on semble vouloir compléter ou compenser la libération de M. le duc d’Orléans par les grâces accordées aux grévistes, comme pour se faire pardonner une inspiration généreuse. Le dernier ministère s’arrêtait tout simplement devant une injonction des radicaux ; le nouveau ministère ne va pas jusque-là ; il est sur le même chemin, il leur accorde quelques faveurs pour leurs cliens pris dans toutes les agitations. Il est clair qu’il veut avant tout se dérober à l’éternel et terrible soupçon de réaction, d’orléanisme, d’alliance avec les conservateurs ! Est-ce que le ministère se flatte sérieusement de gagner, de rallier ainsi les radicaux, de gouverner avec eux ? Il sait bien que les radicaux seront toujours prêts à surprendre et à exploiter ses faiblesses, à le compromettre ou à lui créer des difficultés. Ils le prouvent dans toutes les occasions ; ils l’ont prouvé ces jours passés encore, par l’appui qu’ils ont plus ou moins prêté à cette étrange interpellation sur l’élévation de M. l’amiral Duperré au poste de commandant de l’escadre de la Méditerranée.

Y avait-il quelque secret dans cette guerre déclarée au nouveau commandant de l’escadre ? y a-t-il eu quelque obscur complot prémédité, organisé, comme a semblé le laisser entendre M. le ministre de la marine ? Toujours est-il qu’il y a eu depuis quelque temps, dans les journaux radicaux, une campagne de polémiques violentes, d’accusations injurieuses contre M. l’amiral Duperré, — et tout cet orage de presse est venu se résoudre dans une interpellation de parlement. Qu’avait-on à reprocher au chef chargé de conduire nos marins ? M. l’amiral Duperré est un des plus éminens officiers de notre flotte. Depuis vingt ans, il n’a cessé de tenir la mer, ou il a occupé les préfectures maritimes, — et partout il s’est signalé par ses brillantes qualités, par un zèle et un dévoûment, dignes de son illustre nom. On n’a trouvé rien de mieux que de l’accuser d’avoir eu une mission délicate à remplir il y a vingt ans, d’avoir été chargé, en 1870, de conduire le prince impérial hors de France et d’être resté prisonnier de guerre en Belgique. On a instruit, avec des bavardages, des déclamations et des insinuations, un procès de tendance contre le passé déjà lointain d’un vaillant serviteur du pays. En réalité, M. Duperré, alors jeune officier, ne faisait que son devoir, — un devoir douloureux, si l’on veut, — en exécutant l’ordre de celui qui était encore le chef de la France, qui avait le droit de lui commander. Prisonnier, il ne faisait que respecter l’honneur en subissant la dure loi de la guerre, en demeurant fidèle à sa parole,