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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 mai.

On ne saurait certes dire ce que le monde contemporain, le monde européen deviendra d’ici à quelques années, quels spectacles, quels événemens il est destiné à voir ou à subir avant la fin du siècle. On peut dire du moins qu’il porte en lui de cruelles énigmes, qu’il vit agité et inquiet, assiégé de problèmes qui s’amassent de toutes parts, désirant la paix, la paix intérieure comme la paix extérieure, sans être assuré du lendemain, toujours flottant entre le génie du bien et le génie du mal. Ce n’est pas la première fois, il est vrai, que le monde traverse de ces crises qui sont l’épreuve des sociétés et des gouvernemens : jamais peut-être, au milieu d’un plus vaste déploiement et d’une plus ardente recherche du bien-être, il ne s’est senti plus troublé, plus menacé. Jamais il n’a vu autant de forces morales ou brutales aux prises. Il s’en tirera sans doute encore, comme il s’en est tiré d’autres fois. Il ne se sent pas moins pour le moment pressé de questions obscures, d’agitations indéfinies, — et, après tout, qu’est-ce que cette journée du 1er mai, dont le socialisme a fait le jour privilégié des revendications ouvrières dans l’Europe entière, aussi bien qu’en France ? Ce n’est qu’un signe plus saisissant de cette situation troublée où tout se mêle, le bien et le mal, — les vœux légitimes et les passions anarchiques, — où l’on sent aussi que tout peut arriver, que tout peut dépendre d’un incident, d’une fausse direction, d’une défaillance des gouvernemens.

Eh bien, qu’en a-t-il donc été de cette journée récente du 1er mai, la seconde depuis l’hégire nouvelle inaugurée l’an dernier par les prophètes socialistes ? La vérité est que, si elle s’est passée cette année comme l’an dernier, sans désordres trop caractérisés, elle a eu, elle garde encore sa gravité, et par l’obscurité des idées dont elle reste la confuse expression, et par les forces qu’elle a une fois de plus mises en mouvement et, en définitive, par les incidens pénibles qui sont venus s’y mêler. C’est la journée des manifestations pacifiques, dit-on ;