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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/883

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misérables, protéger l’enfance, surtout l’enfance, contre les forfaits dont elle est journellement la victime.

C’est qu’ils ont de redoutables plaies à guérir, nos voisins britanniques. En France, où la richesse publique est si heureusement répartie, nous ne connaissons guère ces détresses, ces dénûmens effroyables que l’habitant des cités anglaises coudoie, pour ainsi dire, à chaque pas. Qui de nous ne s’est étonné, scandalisé à la vue de la population sordide qui se répand dans les principales rues des grandes villes à l’heure où tout un monde de négocians et de gens d’affaires regagne, après une longue journée de travail, le quartier riche et la villa brillamment éclairée ? Une foule déguenillée, véritable cour des miracles, arrête le passant et l’assiège. La pluie tombe, un brouillard épais et sale vous pénètre et vous glace ; pressé de rentrer, de retrouver à la maison la lumière, la chaleur, l’accueil tendre et souriant des vôtres, vous résistez aux sollicitations, vous ne jetez même plus une aumône à ces enfans aux pieds nus, vendeurs d’allumettes et crieurs de journaux du soir dont les loques souillées et l’aspect maladif vous impressionnaient si vivement au début. L’étranger se familiarise avec le spectacle de ces malheureux. Il y en a trop, qu’importe un copper de plus ou de moins dans leur poche? D’ailleurs, l’argent qu’il donnerait volontiers, irait tomber immédiatement dans le tiroir d’un débitant de bière ou de gin.

Si nous nous habituons vite à frôler plusieurs fois par jour ces légions de misérables, l’Anglais qui les connaît depuis sa naissance s’affecte encore moins de les rencontrer. Il passe, droit et roide, sans détourner la tête ou ralentir sa marche allongée. Il ne fait pas la charité dans la rue, il est membre de trois ou quatre institutions de bienfaisance, donne libéralement et ne refuse pas d’augmenter sa cotisation annuelle si l’hiver est très rigoureux ou si le bureau des sociétés dont il fait partie signale un accroissement inquiétant des pauvres. Il consacre le temps et l’argent nécessaires aux œuvres dont ses amis ou le pasteur de sa paroisse lui indiquent l’urgence et l’utilité. De leur côté, les municipalités ne restent pas inactives, elles provoquent la générosité des citoyens, encouragent les fondations, concèdent gratuitement des terrains. On apprend un matin que des milliers de livres sterling ont été souscrites pour la création d’un hôpital ou d’un asile. Les noms les plus en vue figurent en tête des listes, et il arrive qu’un prince du sang daigne présider, la truelle d’argent à la main, à quelque inauguration solennelle. Le lendemain, la presse publie un compte-rendu détaillé de la cérémonie, tout rempli des titres et qualités des grands propriétaires ou des lords qui y ont assisté ; puis le silence se fait, la charité