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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/912

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et de désespoir, on contemple, avec un attendrissement qui va jusqu’aux larmes, la gravure populaire où la petite fille, le step child, grelottant sous ses loques, les pieds dans la neige, sanglote silencieusement à la porte de la maison paternelle.

On a bien souvent cité, et nous la rappellerons à notre tour, la célèbre tirade de Robert Browning sur la mère dénaturée. Il semble que l’inspiration du maître ne se soit jamais présentée avec plus de force à la pensée de toutes les familles où il y a du pain, du feu, de la lumière et des oreillers tout blancs où les petits reposeront le soir leurs têtes souriantes. Lorsque Ivan Ivanovitch procède à l’exécution sommaire de la malheureuse qui, pour sauver sa vie, a jeté aux loups qui la poursuivaient l’enfant qu’elle portait dans ses bras, le vieux pope du village ne se contente pas d’applaudir au châtiment, il proclame serviteur de Dieu l’impitoyable justicier :


The mother drops the child ! Among what monstrous things
Shall she be classed ? Because of motherhood, each male
Yields to his partner place, sinks proudly in the scale :
His strength owned weakness, wit — folly, and courage — fear,
Beside the female proved male’s mistress — only here.
The fox-dam, hunger-pined, will slay the felon sire
Who dares assault her whelp : the beaver, stretched on fire,
Will die without a groan ; ne pang avails to wrest
Her young from where they hide — her sanctuary breast.


« La mère laisse tomber l’enfant ! Parmi quels êtres monstrueux — Doit-elle être classée ? À cause de la maternité, chaque mâle — cède la place à sa compagne, s’efface noblement devant elle : — sa force, il l’avoue faible ; son cerveau, impuissant ; son courage, tremblant. — Auprès de lui elle se montre, dans ce seul cas, la plus grande des deux. — La femelle du renard, mourant de faim, tuera le père sans entrailles — qui ose assaillir sa progéniture ; le castor, entouré de flammes, — mourra sans une plainte ; nulles transes ne peuvent arracher — ses petits du sanctuaire où ils s’abritent, le sein maternel. »

Ce sont là des vers admirables et dont aucune traduction ne saurait rendre le souffle et l’allure ; avec quelle passion ne se fût-il pas associé au généreux élan de ses compatriotes, le poète qui dort aujourd’hui à Westminster ; de quels accens irrités n’eût-il pas flétri les forfaits de créatures sans nom, lui qui s’inclinait si profondément devant l’auguste majesté des mères !


JULIEN DECRAIS.