Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de façon que le quorum, c’est-à-dire le nombre valable de députés votans, ne pût être atteint. M. Reed prit alors le parti de compter parmi les abstentionnistes un nombre de membres suffisant pour composer avec les votans le quorum voulu, qui est la majorité de toute la chambre. Les réclamations les plus ardentes laissèrent M. Reed insensible, et la minorité dut user d’un stratagème. Dès qu’un vote était annoncé, les démocrates se retiraient précipitamment de la salle, pour que le speaker ne pût les compter. M. Reed fit requérir les récalcitrans ; il alla même jusqu’à ordonner la fermeture des portes au moment d’un vote. Certains démocrates sautèrent alors par les fenêtres, au mépris de la dignité de la chambre. Il en restait cependant assez dans la salle, pour que le speaker pût avoir souvent son quorum. Les épithètes malsonnantes, par lesquelles les démocrates stigmatisèrent les usurpations dictatoriales d’attributions de ce président « aux allures de tsar, » ne le firent pas dévier un instant de l’application de son énergique règlement, et M. Mac-Kinley, grâce à lui, eut la satisfaction de voir son bill voté par la chambre, puis par le Sénat, après une session de neuf mois.

Les procédés à l’aide desquels a été obtenu du congrès le vote du bill Mac-Kinley sont donc au moins aussi extraordinaires que peut paraître le bill lui-même. Porté, après maintes péripéties, de la chambre au sénat, le bill subit dans la haute assemblée d’importantes modifications, notamment en ce qui concernait la section des sucres. De plus, le sénat adopta un amendement de M. Aldrich, aux termes duquel le président des États-Unis est autorisé à conclure avec les nations étrangères des conventions de réciprocité, et, pour cet objet, à supprimer ou à surélever, à son gré, à l’égard de telle ou telle nation, les droits sur le sucre, les mélasses, le thé et les peaux.

Un des membres les plus distingués de la majorité républicaine du sénat, M. Evarts, démontra sans peine que ce transfert, du congrès au président, du droit d’établir des taxes était contraire à la constitution. Il proposa d’autoriser seulement le président, lorsqu’il jugerait inique et déraisonnable l’action de telle ou telle nation à l’égard des produits américains (lisez : le bétail sur pied et les conserves de porc dont l’Angleterre, l’Allemagne et la France s’obstinent à refuser l’entrée), à communiquer au congrès les faits dont il aura constaté l’existence « afin que le congrès puisse établir tels droits qu’il jugera opportuns sur les articles ci-dessus désignés, déclarés francs de droit par le nouveau tarif, en raison du défaut de réciprocité de la part de ladite ou desdites nations étrangères. »

Rien n’était plus raisonnable, plus conforme au droit