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dépendance à l’égard de l’ancien monde. Le protectionnisme est une tradition invétérée de la politique américaine. Il est contemporain de la création même de la république des États-Unis. Le premier congrès était à peine réuni sous l’empire de la constitution de 1789, que le financier Hamilton, l’organisateur fécond et puissant du nouveau gouvernement, proclamait la nécessité de protéger les premiers pas de l’industrie indigène. Il fallut plus tard protéger l’enfance, déjà plus développée, de cette industrie, puis sa jeunesse et sa vigoureuse expansion. La vieille haine de la population américaine contre les taxes directes, dites intérieures, s’accordait avec cette vue économique ; on s’habituait à ne demander qu’aux droits à l’importation les revenus nécessaires à la marche du gouvernement. Lorsque vint la guerre civile, c’est la protection qui dut pourvoir aux charges écrasantes de la lutte. La paix rétablie, et les taxes intérieures supprimées ou réduites, on demanda encore au tarif protecteur les milliards qui ont été consacrées au remboursement de la dette. Les droits étaient énormes ; mais si élevés qu’ils fussent, on ne parvenait pas à les rendre prohibitifs ; l’industrie américaine avait démesurément grandi et progressé, elle avait créé des merveilles, elle rivalisait d’audace et de puissance avec celle des premières nations manufacturières de la vieille Europe, et cependant l’Europe continuait à inonder les États-Unis de ses produits[1]. C’était donc que les droits n’étaient pas encore assez protecteurs : il fallait en finir avec cette concurrence de l’ancien monde, abaisser les barrières pour les produits que les États-Unis ne peuvent donner, et surélever encore les droits pour tous les articles étrangers susceptibles de venir disputer le marché américain à la fabrication similaire américaine.

Cet effort, c’est tout le bill Mac-Kinley. Le but visé, on l’a proclamé bien haut, c’est non pas la protection, mais la prohibition. La protection poussée à outrance, poussée à l’absurde, c’est, après tout, le système américain dans son véritable esprit, dans sa tendance obstinée, porté à son plus haut point d’énergie et d’efficacité. C’est la doctrine de Monroe sur le terrain économique, la pensée dominante du Yankee qui veut défendre son domaine contre les produits étrangers, comme il entend le défendre contre les immigrans de toute origine, contre l’invasion de l’Allemand, du Polonais, du Bohémien, de l’Italien, du Slave, contre l’infiltration de la race jaune, contre le développement, effrayant par ses perspectives lointaines, de la race noire, legs terrible du fléau de l’esclavage.

  1. Voici les chiffres des importations aux États-Unis pour les cinq années de 1885 à 1889 : en 1885, 2,950 millions de francs ; en 1886, 3,315 millions ; en 1887, 3,500 millions ; en 1888, 3,625 millions ; en 1889, 4,100 millions.