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de ses auteurs, est devenu, en moins d’un mois, l’instrument de la déconfiture mémorable des hommes qui avaient espéré s’en faire, aux yeux de leurs concitoyens, un impérissable titre de gloire.

On ne saurait trop rappeler que des sommes énormes avaient été fournies au parti, en 1888, par de grands capitalistes et de riches manufacturiers, et que ce concours a été rémunéré par le nouveau tarif. En élevant la protection à sa plus haute expression, les républicains ont payé leur dette aux puissans intérêts dont l’appui les avait fait triompher il y a deux ans. Seulement, dans cette affaire, les fortes têtes du parti ont un peu trop compté sur la docilité habituelle des masses et sur le prestige des formules toutes faites. Le protectionnisme américain s’était toujours présenté et se présentait encore cette fois sous les dehors d’une doctrine économique dont l’objet exclusif est d’assurer aux travailleurs américains une rémunération beaucoup plus élevée que celles qu’obtiennent les classes ouvrières en aucune partie du monde, même dans les plus riches régions d’Europe, même en Angleterre.

M. Mac-Kinley et ses amis avaient donc annoncé au peuple américain que la première conséquence de l’adoption de leur système serait une hausse générale des salaires. Ils pensaient bien, sans le dire, que la hausse de prix de tous les objets de vente serait aussi une conséquence du bill, mais ils comptaient que le premier phénomène économique ferait aisément passer le second. La population accepta ces promesses. Pendant tout le cours de la discussion théorique au congrès, aucune protestation ne se fit entendre. Le public restait indifférent aux calculs que publiaient les journaux sur les effets probables des modifications introduites dans le tarif. Mais le tarif n’était pas en application depuis quarante-huit heures que des clameurs de colère éclataient de tous côtés. Les salaires ne s’élevaient dans aucune industrie, et les prix des plus vulgaires marchandises, des denrées les plus nécessaires à la vie, subissaient du jour au lendemain une hausse considérable. Les protectionnistes du congrès n’avaient prévu aucune augmentation de prix pour les objets de fabrication indigène, le bill devant avoir simplement pour effet d’éloigner du marché les produits similaires étrangers. La rapacité du commerce de détail déjoua ce calcul et ameuta immédiatement des milliers d’acheteurs et de ménagères contre le bill et ses auteurs. Des lainages montèrent sans transition de 10 pence à 28 pence le yard, les boutons de nacre de 1 penny la douzaine à 4 et 5 pence. Ce sont les petits faits de ce genre, répétés à l’infini, que les électeurs n’ont pu pardonner à M. Mac-Kinley.

On avait dit encore aux populations : « Ne craignez rien ; un droit à l’importation (a duty) n’est pas une taxe (a tax). Ce n’est pas vous, consommateurs, qui paierez le droit, c’est le fabricant, le