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Burgos. L’empereur voulait percer le centre des armées espagnoles, pour tourner leurs ailes. Nous traversâmes la Pisuerga, puis, tournant à gauche, nous nous dirigeâmes sur Villa-Hernando où devait loger le régiment.

Comme nous avions des défilés nombreux à traverser, le bataillon que je commandais fut laissé en position, pour couvrir la marche du corps d’armée. Je reçus l’ordre de ne quitter ce poste que deux heures après que les dernières troupes l’auraient dépassé. Je pris deux guides dont un ecclésiastique. Il était nuit close quand je me mis en marche. Nous marchions depuis fort longtemps et nous n’arrivions pas ; je m’en étonnais. Mes guides me répétaient toujours que nous approchions. Enfin, j’arrivai en vue de beaucoup de feux de bivouac, que je crus être ceux des deux autres bataillons du régiment. Mes guides, que je faisais garder de très près par des soldats, me pressaient beaucoup de les renvoyer, attendu, disaient-ils, que nous étions arrivés. Leurs instances me donnèrent des soupçons. J’arrêtai la colonne et fus moi-même, avec précaution, examiner ces feux et ceux qui les entouraient. Ma surprise fut grande quand je reconnus des soldats espagnols. De ma cachette, j’apercevais les faisceaux et j’estimais que les ennemis étaient nombreux. J’aurais pu les surprendre, mais une attaque de nuit bien commencée pouvait mal finir. Je ne jugeai point à propos de tenter, sans ordre, cette opération, et je rejoignis le bataillon à pas de loup. Mon premier soin fut d’abattre, d’un coup de sabre, le guide qui m’avait trompé. Son camarade était certainement aussi coupable, mais j’en avais besoin.

Je lui dis que, s’il me conduisait à Villa-Hernando, je lui ferais grâce et même le récompenserais, mais que, s’il me trompait encore, il subirait le même sort que son compagnon. Je fus très bien conduit et arrivai enfin, mais très tard, à Villa-Hernando, où je rejoignis le régiment. Nous y séjournâmes pour faire du pain. Les troupes le faisaient elles-mêmes.

Le 22 novembre, nous arrivions de bonne heure sur le plateau de Burgos, où l’empereur passa en revue le 1er corps.

En arrivant à mon bataillon, l’empereur me reconnut et causa longtemps avec moi ; puis il dit, devant moi, à mon colonel : « Ne me demandez-vous rien pour cet Egyptien ? » Le colonel, qui m’avait vu arriver avec un peu de regret à son régiment, parce qu’il aurait préféré voir un de ses capitaines nommé commandant, répondit à l’empereur que j’avais été nommé tout récemment chef de bataillon, et le bon vouloir du souverain en resta là.

La revue terminée, nous nous mîmes en marche, suivant la grande route de Burgos à Madrid. Nous arrivâmes très tard au village de Cogolos, où nous bivouaquâmes.