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l’avais prévu. Au moment où il commandait : demi-tour, je commandai, moi : « Feu de bataillon, joue, feu ! » Aucun coup ne fut perdu. Tout ce corps, le 83e régiment d’infanterie anglaise, tomba. Peu d’hommes étaient blessés, tous les coups ayant porté à la tête ou à la poitrine. Après avoir ainsi écrasé ce corps, je profitai du vide qu’il laissait dans la ligne anglaise, pour exécuter un changement de front à gauche, l’aile droite en avant. Le premier bataillon du 8e et ce qui s’était rallié du 3e bataillon imitèrent mon mouvement. Je marchai aussitôt, en bataille, contre quatre bataillons de la garde royale anglaise et de la légion hanovrienne, qui avaient poursuivi notre première brigade et étaient aux prises avec le 54e, soutenant notre artillerie. Comme, par suite de la forme du terrain, ces troupes ne pouvaient me voir, et comme j’allais très vite, j’avais l’espoir de les prendre par derrière, en exécutant une charge à la baïonnette, qui aurait certainement réussi, tant nos soldats étaient animés et résolus ; mais un maudit ravin (affluent du grand), que je n’avais pu voir, parce que, quoique très profond, il était rempli d’herbes et de broussailles, m’arrêta quelques instans pour le franchir. Les Anglais, qui m’avaient vu arriver sur leur flanc, prêt à leur couper la retraite, mirent à profit ce petit retard pour se retirer. Ne pouvant être en ligne à temps pour m’y opposer, je me plaçai de manière à leur faire le plus de mal possible. Ce corps anglais faisait sa retraite en bon ordre, mais le 54e, nous ayant aperçus, le chargea. L’artillerie le mitrailla. Il fallait encore qu’il défilât sous le feu du 8e, qui l’attendait à petite portée, sa situation était fort critique. Nous ouvrîmes sur lui un feu de deux rangs très meurtrier. Ce qui ne tomba pas se sauva en désordre[1].

Si l’on avait saisi cet instant, la victoire eût été fixée. La 3e division n’avait qu’à se porter en avant, à s’emparer du mamelon. Dix pièces de canon, abandonnées par l’ennemi, étaient en notre pouvoir. Nous venions de faire, dans la ligne anglaise, un vide considérable, qui ne pouvait être comblé qu’en rappelant des troupes des autres parties du champ de bataille. C’était le moment d’exécuter une attaque générale, qui aurait certainement réussi. Le maréchal Victor voulait la tenter, le maréchal Jourdan fut d’un avis contraire.

La 3e division resta sur le terrain qu’elle occupait, à peu près

  1. On lit, en effet, sur les états de services du colonel Vigo-Roussillon, à la colonne intitulée : Actions d’éclat : « A la bataille de Talavera, le 28 juillet 1809, à la tête du 8e de ligne, qu’il commandait, il passa sur le ventre du 83e régiment d’infanterie anglaise, qui lui était opposé ; puis, par un changement de front, il prit en flanc la garde royale anglaise et la mit en déroute, au moment où elle allait s’emparer de l’artillerie de la 2e division du 1er corps. »