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dus quitter le champ de bataille, pour aller me faire panser à une ambulance établie à notre ancien camp de Cazalegas.

Le roi ayant décidé que l’on ne renouvellerait pas le combat, tout ce qu’avait pu obtenir le maréchal Victor avait été de passer la nuit sur le champ de bataille. Les ennemis nous y laissèrent fort tranquilles.

La timidité du roi et l’irrésolution du maréchal Jourdan avaient sauvé l’armée ennemie. Au début, la précipitation du maréchal Victor avait fait à cette armée la partie belle. Les deux fautes se complétaient l’une l’autre. Napoléon, lui-même, trop éloigné pour bien juger les événemens, avait privé le roi du secours du corps de Mortier, en mettant ce maréchal et le maréchal Ney sous les ordres du maréchal Soult, qui s’était compromis de toutes façons en Portugal.

Le maréchal Jourdan n’avait consenti à la bataille que parce que Madrid était menacé, au sud par Venégas qui allait passer le Tage à Aranjuez, à l’ouest par de la Cuesta et les Anglais, qui venaient de se réunir à Talavera. Il avait demandé les secours du maréchal Soult qui était à Zamora, du maréchal Ney qui était à Astorga, du maréchal Mortier que l’on avait appelé à Salamanque. Avec de la bonne volonté, les corps de Mortier et de Soult pouvaient se trouver le 20 ou le 30, au plus tard, à Plasencia, c’est-à-dire sur les derrières des Anglais. En différant la bataille de deux jours, en attirant sir Wellesley encore un peu vers Madrid, il devait se trouver cerné par cinq corps français. Le maréchal Jourdan avait donc raison de vouloir différer la bataille, mais du moment où l’on avait accepté de la donner, il fallait, au moins, en tirer profit.

Il s’établit bientôt, au sujet de la bataille de Talavera, entre le roi Joseph et les maréchaux, une longue polémique qui fut soumise à Napoléon, et l’empereur, dans une lettre adressée, le 18 août 1809, au ministre de la guerre, a rendu un jugement qui donne le dernier mot sur cette question. Il écrivait : « Quelle belle occasion on a manquée ! Trente mille Anglais, à cent lieues des côtes, devant cent mille hommes des meilleures troupes du monde. Mon Dieu ! qu’est-ce qu’une armée sans chef ! » Et cette occasion était déjà la seconde ! En Espagne, nous devions lasser la fortune !

Le 10 août, je revins à Talavera au moment où le 1er corps quittait cette ville pour se rendre dans la Manche. Je vis à Talavera 4,000 blessés que les Anglais n’avaient pu emmener et qu’ils avaient recommandés à notre humanité. J’appris, par eux, que la perte de l’armée anglo-espagnole avait été, à la bataille de Talavera, de 10,000 hommes, en grande majorité Anglais.