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III

Tous les arts ont encore ceci de commun que la forme y est toujours expressive ; les apparences y sont des signes et ont un sens que je découvre instantanément ou que je démêle par une induction du connu à l’inconnu qui me coûte peu d’effort. C’est ainsi que nous retrouvons dans ces simulacres des réalités qui ne nous étaient point étrangères ou que nous nous représentons facilement. Les joies austères que procure la science sont d’un autre ordre ; elle nous révèle les principes secrets des choses, les lois cachées qui règlent et déterminent les phénomènes. L’art, à proprement parler, ne m’apprend rien ; il ne démontre pas, il montre. En contemplant une œuvre d’art, je n’acquiers pas des connaissances nouvelles, mais je me souviens et je reconnais, et j’en crois faire l’éloge en disant : « Oui, c’est cela, c’est bien cela. »

Mais si l’artiste a du talent et sait son métier, sa copie me fera voir l’original mieux que je ne l’avais vu. C’est une image qui éclaircit la réalité, parce qu’elle se réfléchit dans un miroir merveilleusement limpide ; l’impression qu’elle produit sur moi, je l’avais éprouvée déjà en me trouvant en présence de l’objet représenté ; il m’en souvient et il me semble pourtant que je la ressens pour la première fois, tant elle a de force et, pour ainsi dire, de certitude. Le plaisir esthétique serait incomplet si mes reconnaissances ne ressemblaient à des découvertes et s’il ne se mêlait quelque étonnement à mon admiration : — « Oui, c’est bien cela, me dis-je, et cependant c’est autre chose. » — Si un peintre s’envolait dans quelque planète absolument différente de la nôtre et en rapportait des paysages d’une parfaite ressemblance, où je croirais voir un monde renversé et le rebours de tout ce que je connais, ces paysages exciteraient ma curiosité, mais je ne les tiendrais pas pour des œuvres d’art. En revanche, un artiste qui me montre des choses connues de moi sans rien ajouter à l’idée que je m’en faisais trompe mon attente, et je ne le tiens pas pour un véritable artiste. Nous disons alors comme le paysan : — « A quoi bon ? » Est-ce la peine de réduire les choses à l’état de pure apparence pour ne nous montrer d’elles que ce que le premier venu en peut voir ?

Tous les arts sont expressifs, et ils empruntent tous à la nature les réalités dont ils nous offrent l’image, car la nature, ce n’est pas seulement le ciel, la terre et la mer, les champs et les bois, les rochers, les animaux et les plantes, c’est aussi la nature humaine,