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bons momens, la précision des formes et la netteté des expressions, c’est un spectacle exquis. Dans le panneau de la Poterie, rien de charmant, de moderne aussi, comme les têtes fines et intelligentes des deux demoiselles qui s’avancent, dans l’allée sablée, l’une portant un vase, l’autre montrant à sa compagne un plat qu’elle vient de peindre. Dans le fond, on aperçoit un four devant lequel veillent deux ouvriers, l’un assis sur le seuil, l’autre regardant où en est la cuisson par un des évens de la porte. M. Puvis de Chavannes excelle dans l’indication sommaire de ces figures de second plan dont les attitudes sont d’ordinaire prises sur le vif avec un esprit d’observation très particulier.

Le grand panneau, l’Été, pour la ville de Paris, développe, sur une plus grande échelle, avec plus d’éclat et de force, les mêmes qualités. Les dispositions de la toile, coupée au milieu par une porte rectangulaire qui s’élève jusqu’au centre, permettaient au peintre d’y placer, de chaque côté, un de ces groupes statuaires dans lesquels il triomphe. A gauche, nous avons donc, sur le bord d’une rivière, une jeune femme nue, enfoncée dans l’eau jusqu’aux cuisses, tenant les deux mains d’un enfant qui a peur de l’eau, tandis qu’un jeune garçon, vu de dos, s’accrochant d’une main à la branche de saule, prenant de l’autre son linge déposé sur la rive, remonte sur la berge. Sur la droite sont trois femmes, trois baigneuses, l’une étendue, toute nue, dans l’herbe, l’autre, appuyée contre un arbre, s’essuyant le pied par un mouvement pareil à celui des Vénus rattachant leur sandale ; la troisième, assise, retire sa tunique, en levant les bras par un geste qui découvre son torse. La belle pondération des lignes, la majesté des formes en mouvement, donnent à ces trois figures classiques un charme puissant et nous devons reconnaître que l’artiste a fortifié ce charme, en s’efforçant de donner à son modelé plus d’intensité et de relief qu’il ne fait habituellement. L’unité de la composition est établie, d’abord, par la langue de terrain devant laquelle se groupent les deux scènes et qui passe derrière la porte, et ensuite et surtout par les lignes horizontales, rivière, berge, massif boisé, collines, qui se déroulent et se superposent dans toute la hauteur de la toile, y développant un paysage grandiose et simplifié, un paysage de style, d’une tranquillité et d’une sérénité qui nous reportent vers Nicolas Poussin.

Quels que soient les mérites de M. Puvis de Chavannes, comme ils sont dus à un tempérament particulier et à une culture exceptionnelle, ils ne sont point de l’ordre transmissible, et lui resteront personnels. Le dilettantisme et l’archaïsme, à quelque hauteur qu’ils atteignent, fût-ce la hauteur du génie, dans l’ordre artiste comme dans l’ordre littéraire, peuvent se dresser, comme des