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ne se prêteront jamais à la musique. On l’a bien vu par la répétition générale du Rêve. Le dernier tableau nous montrait la sacristie après le mariage d’Angélique et de Félicien : Mlle Simonet en mariée, M. Engel ganté et cravaté de blanc, Mme Deschamps en belle-mère ; à gauche, les invités : messieurs en frac, dames en robes à traîne, plus un étonnant petit vicaire qui faisait signer les témoins. Rien de plus risible que cette noce : une toile de M. Béraud en musique. Quitte à dénaturer le dénoûment et, d’ailleurs, pour la plus grande joie des personnes sensibles, désireuses que « cela finisse toujours bien, » on a supprimé l’épilogue et la mort d’Angélique, comme naguère celle de Mireille. On a bien fait et, du coup, nous voilà prévenus. Nous saurons que, pour mettre en musique des sujets modernes, il faut prendre des précautions, ne jamais aller jusqu’à l’excès du réalisme ou seulement de la vérité, chercher ailleurs, mais chercher encore le prestige qu’on ne demandera plus au passé. Si l’action se passe de nos jours, que ce soit dans une demi-solitude, dans le lointain et pour ainsi dire avec le recul de la province. Que l’herbe pousse entre les pavés de la rue ; que sur l’enclos, où courent des eaux vives, l’ombre d’une cathédrale s’allonge le soir. Quant aux héros de ces nouveaux récits, prenez-les de préférence parmi les humbles et les petits. « Les pauvres en tout valent mieux. » En tout, même en musique, ou pour la musique. Je ne sais trop s’il faut un art pour le peuple, mais je réponds qu’il peut y en avoir un par lui. Faites donc chanter, non pas les salons, mais les mansardes, les ateliers et les boutiques. Comme M. Zola, montrez-nous, blotti au flanc d’une église, le laborieux asile des brodeurs et cette charmante famille Hubert, artisans, artistes à demi, deux fois rapprochés du Seigneur, par sa demeure voisine et par leur travail pieux. Le voici peut-être enfin pour notre pays, l’avenir du drame lyrique (je ne parle que du poème). Voici une note nouvelle, et juste, pourvu qu’on ne la force pas. Laissons dormir un temps les Grecs et les Romains, les chevaliers du moyen âge et les dames de la renaissance. Renvoyons à l’Allemagne ses légendes, les guerriers bras nus, casqués d’airain et vêtus de bêtes écorchées, toute la ferblanterie et la pelleterie préhistoriques, dont on voudrait nous affubler. En fait de bras nus, qu’on nous montre ceux d’une jolie fille de France, comme l’Angélique du Rêve, et que la première héroïne d’un genre renouvelé soit la blonde laveuse agenouillée dans l’herbe et battant son linge au courant du ruisseau.

Je viens maintenant à la musique, si j’ose m’exprimer ainsi ; et vraiment je l’ose à peine, tellement la partition de M. Bruneau, dans son ensemble au moins, par le fond et la forme, par les idées et surtout par l’écriture, me paraît antimusicale. Avez-vous aimé, l’année dernière, au Champ de Mars, le pauvre M. Levis Brown et sa