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sent sa faiblesse. Il a voulu dernièrement, pour entrer, lui aussi, dans le mouvement social, affecter un excédent budgétaire à l’établissement de l’instruction gratuite. Malheureusement, il n’a réussi qu’à mettre en défiance les conservateurs, ses amis, et les libéraux qui l’accusent, — les uns de ne tenter qu’une réforme équivoque, les autres de porter atteinte à l’influence de l’Église. Il a proposé un bill sur le travail des manufactures, et, de peur de blesser les industriels du Lancashire, du Yorkshire, oubliant les engagemens qu’il avait pris à la conférence de Berlin, il avait évité de rien innover au sujet de l’admission des enfans. De grands manufacturiers, libéraux ou conservateurs, M. Sidney Buxton, M. William Houldsworth, ont proposé un amendement par lequel les enfans ne peuvent être admis au-dessous de l’âge de onze ans dans les manufactures. Vainement le ministre de l’intérieur, M. Matthews, a résisté : l’amendement Buxton-Houldsworth a été voté. Ce qui a ajouté à la défaite du ministère, c’est qu’un des sous-secrétaires d’État, homme d’esprit, qui s’est distingué depuis quelque temps par des discours embarrassans et qui a représenté l’Angleterre à la conférence de Berlin, sir John Gorst, ami de lord Randolph Churchill, s’est abstenu dans le vote. Ce n’est donc pas une situation des meilleures pour le ministère. C’est là un premier fait ; mais il y a un autre fait qui a occupé depuis quelques jours l’Angleterre : c’est la mésaventure survenue au prince de Galles à l’occasion d’une triste affaire de jeu où s’est trouvé compromis un officier de l’armée, brillant soldat d’ailleurs des guerres du Soudan, sir William Gordon Cumming.

Qu’est-ce que cette méchante histoire ? La vérité toute simple, toute nue, c’est que dans un château appartenant à des parvenus d’une renommée douteuse, où il y avait brillante compagnie et où se trouvait le prince de Galles lui-même, sir William Gordon Cumming a été surpris trichant au jeu. Le prince de Galles a voulu, non pas innocenter un coupable, mais ménager une retraite à un ancien ami et éviter le scandale. Malheureusement le secret n’a pas été bien gardé. Le prince n’a pas réussi à étouffer l’affaire, et il est resté lui-même exposé aux interprétations malveillantes. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’à la suite d’une série de péripéties, sir William Gordon Cumming, après avoir tenté de se débattre contre les bruits accusateurs, a été puni de ses tricheries et que le prince de Galles s’est vu assailli par tous les rigoristes puritains qui l’ont accusé de vivre dans un monde équivoque, de courir les tripots, d’être perdu de mœurs et de dettes. Le ministère lui-même, interpellé dans le parlement, s’est vu obligé d’avouer que le prince avait commis une « erreur de jugement » en essayant, lui feld-maréchal, de dérober un officier déshonoré aux sévérités de ses chefs. L’héritier de la reine Victoria a passé un mauvais moment. Les Anglais sont en vérité assez singuliers et même peu logiques dans leurs rigueurs : ils prétendent interdire à leur futur souverain la plus simple immixtion