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mêle, la douceur de cette voix les accompagne partout Voici des vers d’aveugle-né :


Éclat vibrant, note touchante,
Son timbre en moi vint se graver ;
Elle me plut… elle m’enchante !
Tous ses attraits me font rêver…
Cette voix que j’adore absente
Et dont l’écho suit tous mes pas,
Je la voudrais toujours présente,
Car l’écho ne m’en suffit pas[1].


Nous avons le pouvoir de renouveler par des images toutes nos perceptions, que ce soient nos yeux ou nos oreilles, l’odorat, le goût ou le toucher qui nous les ait fournies. Mais ces images, d’où nous viennent-elles ? Notre imagination les avait créées au préalable en travaillant et façonnant les choses à sa mode, et c’est là son principal office.

Nous nous distinguons de tous les animaux par l’étendue de nos curiosités, par l’intérêt que nous prenons à ce qui se passe autour de nous, à tous les accidens divers de cette grande machine qu’on appelle le monde. En notre qualité d’êtres pensans, nous nous intéressons aux genres, aux espaces, et nous tâchons de nous en faire une idée précise : en tant qu’êtres sensitifs, nous sommes curieux des individus et nous cherchons à nous représenter nettement ce que leur caractère a d’original et de marqué. Tel objet nous plaît ou nous déplaît, nous attire ou nous répugne, nous étonne, nous charme ou nous effraie. Il nous devient intéressant, et, devenus attentifs, nous nous appliquons à l’étudier, non comme des savans qui recherchent le pourquoi des choses, mais comme des observateurs qui aiment à se rendre compte de leurs impressions. Si simple qu’il soit, cet objet est le composé d’une foule de détails ; c’est une confusion à démêler. Parmi ces détails, les uns nous semblent insignifians : ce sont des quantités négligeables, et nous avons bientôt fait de les éliminer. D’autres nous paraissent caractéristiques : nous les retenons, nous les combinons, nous en formons un tout, qui est une image. Si, comme il arrive souvent, ce travail d’analyse et de synthèse est rapide, hâtif, presque instantané, l’image ne sera qu’une ébauche ; mais, esquisse ou tableau, elle sera toujours le sommaire, le résumé de l’objet réduit à sa forme, c’est-à-dire à l’ensemble des qualités par les quelles il fait sur nous une impression particulière. :

  1. Chants et légende de l’aveugle, par Edgar Guilbeau, professeur d’histoire à l’institution nationale des Jeunes Aveugles. Paris, 1891.