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meurtrière à elle seule que toutes les maladies épidémiques réunies. Les fléaux les plus redoutés passent sur les peuples comme des torrens, les déciment et se retirent ensuite comme ils sont venus ; la tuberculose au contraire ne laisse pas de répit aux populations et prélève sur elles, chaque année, son implacable tribut. Elle entre pour un sixième dans la mortalité du globe et pour un cinquième dans celle de Paris. Sur 506,034 décès qu’on y a enregistrés du 1er janvier 1880 au 31 décembre 1887, c’est-à-dire pendant huit ans, la tuberculose en a causé 96,581 (19 pour 100).

On estime à 150,000 le nombre des victimes qu’elle fait chaque année en France. C’est un véritable fléau social parce qu’elle s’adresse à la jeunesse. Elle prend les sujets des deux sexes, au moment où, après avoir été une charge pour la société, ils vont lui devenir utiles et lui rendre ce qu’ils lui ont coûté ; elle les fait mourir lentement, après de longues années de souffrances et d’inactivité, après qu’ils ont épuisé les ressources de leurs familles.

C’est assurément une considération bien accessoire que celle de l’argent, lorsqu’on la met en parallèle avec tous les chagrins que causent ces morts prématurées, avec les espérances qu’elles brisent ; il semble presque cruel de supputer ce que peuvent coûter au pays toutes ces existences moissonnées dans la fleur de leur jeunesse. C’est cependant une question dont l’hygiène sociale ne peut pas se désintéresser. J’ai calculé qu’en frais de traitement et de journées de travail perdues, en tenant compte du capital représenté par ces 150,000 victimes arrivées au moment productif de la vie, la tuberculose coûtait chaque année à la France, plus d’un demi-milliard de francs.

Elle sévit sous toutes les latitudes, à toutes les époques de l’année, dans toutes les classes de la société. Bien qu’elle soit regardée, à juste titre, comme une maladie de misère, que son évolution soit favorisée par toutes les causes qui appauvrissent l’économie, aucune famille n’en est à l’abri, aucun genre de vie n’en préserve à coup sûr. La force de la constitution elle-même n’est pas une garantie certaine. La race anglaise est assurément l’une des plus belles du globe. Les rameaux les plus vigoureux du Nord de l’Europe se sont réunis pour la constituer. Le sang des Angles, des Saxons, des Normands est venu tour à tour se mêler à celui des Cambriens et des Pictes, pour former cette puissante race. Elle n’a certes pas dégénéré, sa prospérité n’a fait que s’accroître et pourtant elle paie à la tuberculose un tribut plus lourd que les autres. C’est le fléau des plus nobles familles de l’aristocratie anglaise ; elle les poursuit sur toutes les routes du globe et les atteint dans tous leurs refuges.

Les grandes maladies populaires ont reculé de tout temps