Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De même, les individus vigoureux, à respiration large et puissante, qui vivent au grand air et se nourrissent bien, ne constituent pas un terrain favorable aux microbes et triomphent facilement de ceux de la tuberculose, même alors qu’ils en sont imprégnés. C’est ce qui explique le grand nombre de médecins, de religieuses, d’infirmiers, de garde-malades, qui vivent au milieu des phtisiques sans le devenir, et le nombre encore plus grand de familles dans lesquelles un cas de phtisie naît et meurt isolé.

Il faut donc, tout en reconnaissant la possibilité de la contagion, ne pas lui accorder plus d’importance qu’elle n’en mérite. Sur ce point, comme en tout ce qui touche aux maladies, l’opinion publique va toujours au-delà de celle des médecins. Dans les familles timorées où le souci de la santé devient une préoccupation de tous les instans, et le nombre en est plus grand qu’on ne pense, on en arrive à se demander si les rhumes eux-mêmes ne sont pas contagieux et s’il est bien prudent de rendre visite aux gens qu’une bronchite retient à la chambre ou au lit. On s’éloigne, dans les réunions publiques, des personnes qui toussent, on regarde d’un œil défiant les pauvres jeunes gens un peu maigres, les jeunes filles qui présentent, à l’époque de la puberté, quelques phénomènes suspects du côté de la poitrine et on les évite comme s’ils avaient la peste. On voit aujourd’hui des mères qui n’osent plus embrasser leur enfant malade, qui craignent de séjourner dans sa chambre, et qui en éloignent ses frères et ses sœurs.

On accuse les médecins d’avoir produit cet affolement, en répandant leurs idées contagionnistes dans les familles. Ce reproche est souverainement injuste. Est-ce leur faute, si le public est toujours à l’affût de ce qu’ils disent entre eux, dans leurs réunions professionnelles ? Est-ce leur faute si, pour satisfaire cette imprudente curiosité, les journaux politiques reproduisent, en les travestissant à leur façon, les comptes-rendus des académies et des sociétés savantes ? Les médecins ne peuvent pas empêcher l’invasion des gens du monde dans le domaine de leur profession. Ils ne s’entourent plus de mystère, parce qu’ils n’ont rien à cacher. En devenant positive, la médecine s’est rapprochée des sciences exactes ; elle est devenue accessible à toutes les personnes dont l’esprit est cultivé. Les notions d’hygiène et même de pathologie sont devenues monnaie courante et tout le monde se croit le droit de s’en occuper ; or, comme le désir de se bien porter et surtout la crainte de mourir vont croissant avec le bien-être que procure la civilisation, tout ce qui touche à la santé intéresse au plus haut point l’opinion ; les questions jadis réservées aux hommes spéciaux sont tombées dans le domaine public ; elles