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abaissée, et son cœur s’est rapetissé, comme son corps. A la dégénérescence physique, a correspondu, trop souvent, la dégradation morale. Contraint de se prêter à bien des accommodemens, il lui a fallu s’habituer à des compromis répugnans. L’homme interne s’est ressenti des courbettes de l’homme extérieur. Il a été tellement incliné par les siècles qu’il n’a pu toujours se redresser. Voyez le juif de l’Est : il a dû, si longtemps, porter la tête basse qu’il a parfois perdu l’habitude de marcher droit. On dirait qu’il y a en lui du reptile, quelque chose de sinueux et de rampant, de gluant et de visqueux, dont l’israélite cultivé n’a pu toujours se défaire. En ce sens, le juif a souvent du mal à se déjudaïser. Par là, il est en quelque sorte redevenu Oriental : c’est un trait de race, un péché d’origine ; ni l’eau et le sel du baptême, ni les exorcismes du prêtre ne suffisent toujours à l’effacer.

Deux choses, selon un de nos grands écrivains, distinguent l’homme moderne ; « deux choses que l’homme moderne n’aliène point : la conscience et l’honneur ; — celle-là d’origine chrétienne, celle-ci d’origine féodale[1]. » Or, de ces deux notions nouvelles, sur lesquelles repose toute la vie morale de nos sociétés, l’une était hier encore étrangère au juif, l’autre a longtemps été chez lui atrophiée ou faussée. C’est par là surtout que le juif diffère de nous ; par là que, avec toutes ses facultés intellectuelles et ses qualités mentales, il reste souvent au-dessous de nous.

La conscience, on ne saurait prétendre qu’elle manque à Israël. M. Taine la dit d’origine chrétienne ; il serait peut-être plus juste de dire qu’elle est d’origine juive. C’est encore là, — tout comme la charité, — une importation sémitique. C’est Israël qui l’a introduite dans notre monde, au moins dans le sens que lui a conservé le christianisme. Le juif est le premier qui, vis-à-vis des rois de la terre et des porteurs de glaives, s’est réservé un for intérieur où nul maître ne peut pénétrer. Assyrien, Grec ou Romain, ses conquérans successifs en ont su quelque chose. Israël a donné à la conscience ses protomartyrs ; elle a eu pour hérauts les sept Machabées qui se laissaient torturer plutôt que de manger les viandes prohibées. La conscience a été l’âme du judaïsme ; elle a ses racines dans la Thora. L’existence même d’Israël a été son affirmation ; c’est parce qu’il l’a préférée à tout que Juda est resté fidèle à sa loi, et que le juif est demeuré juif.

Mais cette conscience juive, qui a été la mère et la nourrice de la nôtre, elle s’est peu à peu rétrécie et obscurcie. Elle aussi

  1. M. Taine : les Origines de la France contemporaine. — La Révolution, t. III, p. 124-126. Il y a là, remarque M. Taine, deux mots nouveaux sans équivalons en grec ou en latin : ni conscientia ni honos ni dignitas n’ont le même sens.