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Ah ! ce château ! on en contait merveilles et terreurs. Du dehors, c’était bien une forteresse de pirates, plantée là pour narguer la mer. Mais au dedans, que se passait-il ? Personne n’avait jamais vu reparaître aucun des amans de Dahut. De temps à autre seulement, les gens du pays voyaient un cavalier, monté sur un cheval noir, traverser la nuit les campagnes avec un sac qui retombait des deux côtés de la selle. Il gagnait au triple galop la pointe du Raz, au-delà de la baie des Trépassés ; il jetait sa charge dans le gouffre de Plogoff. Pendant ce temps, Dahut s’oubliait aux bras d’un nouvel amant. Au risque de chavirer, des pêcheurs curieux rôdaient autour du château des Maléfices. De ses trous noirs sortaient des chants lascifs avec des huées et des lueurs d’orgie qui semblaient insulter à la colère du flot.

Malgré le mystère et la terreur dont s’enveloppait Dahut, le bruit de ses crimes avait percé dans le peuple. Sourdement, les parens et les amis des victimes s’étaient ligués : la révolte grandissait. Un soir, à la nuit tombante, la ioule, armée de fourches, de piques et de pierres, se présenta à la porte du château en vociférant :

« Roi Gradlon, rends-nous nos parens, nos frères et nos fils, ou livre-nous ta fille. C’est Dahut que nous voulons ! »

Pendant ce temps, Dahut, étendue sur une couche moelleuse, entre des colonnes de jaspe et des tentures de pourpre, se laissait aller à une langueur délicieuse, à une volupté toute nouvelle et presque attendrie. Une de ses mains jouait avec les cordes d’un luth donnant sur les coussins, l’autre errait, légère, dans les cheveux noirs et longs du page Sylven, agenouillé devant elle et qui la regardait éperdument.

— Sais-tu pourquoi je t’aime, toi ? lui disait-elle. Je n’ai peur de personne, car je sais que tous les hommes ont peur de moi. Je les hais tous quand ils m’ont tenue dans leurs bras. Pourquoi faut-il que je t’aime, toi, insensée que je suis ? Tu le sauras, écoute. Un jour, poussée par la curiosité, je voulus aller à Landévenec, au tombeau de saint Gwénolé, qui, disait-on, faisait des miracles. Mais au moment où j’entrai dans la crypte noire, ma lumière s’éteignit et, devant le sarcophage, j’aperçus un jeune homme tenant un flambeau. Il me regardait avec des yeux candides et farouches, comme tu me regardes en ce moment ; mais sa main menaçante me défendait d’approcher. J’eus peur et je sortis. Un vieux barde de mon père m’attendait. Je rentrai avec lui dans la crypte, après avoir rallumé mon flambeau. Il n’y avait plus personne. Ma peur s’en augmenta et je demandai au barde ce qu’il pensait de ce signe. Il me dit : Si jamais tu rencontres quelqu’un qui ressemble à ce fantôme, détourne-toi de lui ; il te porterait malheur. En te