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En même temps, on entendit à la porte du château un cliquetis d’armes et de pierres lancées, et, au milieu de cent malédictions, ce cri :

— Mort à Dahut !

— Ils l’ont voulu ! dit la fille de Gradlon. L’heure est venue ; je vais noyer la révolte avec la ville. Viens !

Sortie du château par une porte secrète, malgré le vent et les vagues, elle entraîna son page sur la digue.

— Tire la barre de l’écluse ! dit à Sylven la forcenée.

A peine eut-il tiré la barre que l’eau, brisant l’écluse, se précipita par l’ouverture. Une vague immense emporta l’amant de Dahut. Celle-ci poussa un cri sauvage. Il lui sembla qu’on lui arrachait l’âme du fond des entrailles. Prise d’épouvante, elle n’eut que le temps de s’enfuir auprès de son père.

— Vite ! ton cheval ! L’Océan rompt ses digues ! L’Océan me poursuit !

Le roi Gradlon se jeta sur son cheval, sa fille en croupe, derrière lui. Déjà les grandes ondes déferlaient sur les murs submergés de la ville d’Ys. L’étalon Morvark se mit à bondir sur les galets ; le flux courait derrière lui. Et de loin, on entendait une voix terrible comme le meuglement de mille taureaux. Jaloux et furieux d’amour, l’Océan sauvage hurlait après sa fiancée. « Il me veut ! sauve-moi de lui, mon père ! » criait Dahut. Et le cheval se cabrait sur l’eau bouillonnante. Mais à chacun de ses bonds, une nouvelle lame lancée après lui éclaboussait la croupe du cheval et de la femme. Morvark galopait au pied d’immenses rochers. Déjà on ne voyait plus la plage ; toutes les criques écumaient, et les vagues bondissaient contre les falaises comme des licornes blanches. Dahut enlaçait son père toujours plus étroitement. Tout à coup une voix cria derrière lui : « Lâche le démon qui te tient ! » Mais Dahut, les ongles crispés dans la chair du vieux roi, suppliait haletante : « Je suis ta fille ! Ne jette pas au gouffre la chair et le sang de ma mère… Emporte-moi, fuyons au bout du monde ! »

À ce moment, Gradlon aperçut une forme pâle debout sur un rocher. C’était saint Gwénolé. Le cheval passa comme un éclair. Mais le roi entendit derrière lui la voix tonnante du saint le poursuivre d’un cri : « Malheur à toi ! »

Enveloppé par la marée montante, Morvark avait grimpé sur un écueil. Le poil hérissé, le cheval regardait devant lui une chose terrible. A la lueur de la lune rouge, Gradlon vit le gouffre de Plogoff. La bouche d’enfer revomissait les vagues monstres englouties avec les brisans. A chaque hoquet, elle rendait une