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l’univers. « On y verra les feuilles de l’olivier et du laurier, le chardon épineux, l’acanthe, le lis marin, le persil, la rose, la coquille, l’œuf, les perles, les olives, les amandes, les larmes de la pluie, les flammes et les carreaux de la foudre. Puis des feuillages imaginaires s’infléchissent et se tourmentent pour obéir aux rigides contours qui les emprisonnent. Les animaux apparaissent ensuite, comme des emblèmes de la nature sauvage domptée par l’homme. L’Indien assoit la plate-bande de son édifice sur des éléphans, le Persan remplace le chapiteau de ses colonnes par une double tête de taureau, le Grec fait servir des mufles de lion à vomir l’eau du ciel. »

Prolongez jusqu’à l’infini une ligne qui n’est pas absolument régulière, ses irrégularités seront réduites à néant. L’architecture, qui est pour ainsi dire l’art cosmique, reproduit les lignes de la nature telles qu’elles apparaîtraient au génie des mondes, les contemplant de loin, de très loin, du fond des espaces éthérés, et elle y trouve son compte. Elle désespère de rivaliser avec la nature, qui fait tout en grand et agit par masses, sans qu’il lui en coûte rien. Elle sauve l’infériorité de ses moyens par un artifice, et pour agir sur notre imagination sans trop de désavantage, elle recourt à la méthode intensive. Ne pouvant imiter dans ses ouvrages la grandeur et l’infinie variété des lignes naturelles, l’homme devenu bâtisseur en rend l’effet plus intense en les rendant rigoureusement géométriques. Il trace de vraies horizontales et de vraies verticales ; il transforme des figures vaguement esquissées en triangles, en parallélogrammes aux contours arrêtés, des courbes incertaines en arcs de cercle, d’ellipse, de parabole. Il se donne le plaisir d’enseigner les mathématiques à la nature. Dans sa bâtisse, les parties ont entre elles et avec le tout un rapport précis, déterminé ; toutes les proportions en sont exactes, tout y est soumis aux lois de la symétrie. Les êtres vivans eux-mêmes, les plantes, les animaux qu’il y mêle, il les ramène à leur forme générale et typique, il en accentue le caractère, il les ennoblit en les simplifiant : il veut qu’on puisse dire qu’avant de servir à la décoration de son édifice, ils avaient séjourné dans son esprit et vécu quelque temps avec sa raison.

C’est ainsi qu’en reconstruisant le monde à son idée, il proteste contre les accidens perturbateurs, contre les désordres apparens qui l’offusquent, et du même coup contre le malheur de sa situation. Créature éphémère et chétive, qui se sent perdue dans l’abîme de l’être et qui pourtant s’intéresse passionnément à elle-même, il est bien aise de pouvoir dire : Voilà ce que je pense de moi ! Quand il édifie à ses dieux des temples qui sont comme une image abrégée