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Mon adjudant-major, M. Duval et moi, nous nous mîmes tout de suite à l’ouvrage pour réparer notre baraque avant la nuit. M. Duval, voulant scier une planche, l’avait placée sur une chaise ; pour la maintenir, il me pria de monter sur le tout. A peine y étais-je, qu’un boulet de 36 passe entre les jambes de M. Duval, enlève deux pieds à la chaise, et me fait tomber, sans autre accident pour l’un ou l’autre. Nous continuâmes, mais l’adjudant-major me dit : « Mon commandant, si vous voulez reconstruire votre baraque aujourd’hui, vous ferez bien d’en demander la permission aux Anglais. » Cependant nous eûmes un abri pour la nuit.

Le 14, j’étais de service au Trocadero. Les ennemis redoublaient leur feu sur les ouvrages que nous construisions. Nous ripostions de notre mieux. Un coup de canon, parti d’une batterie de trois pièces de 24, que nous avions établie à l’entrée du canal de Puerto-Real, porta sur ! a soute aux poudres d’une chaloupe canonnière espagnole. Ce navire sauta et ses débris coulèrent. Irrités de cet échec, les ennemis firent sur nous le feu le plus vif. J’eus trois hommes tués et six autres estropiés. De Puerto-Santa-Maria à Puerto-Real, et de là au fort Santi-Petri, l’on avait construit une foule de redoutes et de batteries. Elles devaient être armées de 250 pièces en bronze de gros calibre, venant de Séville ou fondues par nous à Séville. On y fondait aussi de grands mortiers à plaques, dits à la Villentrois, qui devaient lancer de grosses bombes de la redoute Napoléon (près du fort Matagorda) dans la ville de Cadix, et jusqu’à 2,400 toises (4,800 mètres). Tous ces travaux commençaient à inquiéter l’ennemi.

Le 17 mars 1810, les flottes anglaise et espagnole tentèrent de détruire, à coups de canon, les batteries que nous construisions. Elles lancèrent contre celles-ci plus de 2,000 boulets de gros calibre et 500 bombes.

Je perdis trois hommes tués par une de ces bombes. Ces malheureux dormaient couchés autour de leur feu. La bombe éclata au milieu d’eux. Ils furent pulvérisés. On ne put retrouver aucuns vestiges de leurs corps, pas même de leurs fusils. Une bretelle, seulement, qui avait appartenu à l’une de ces armes, lut recueillie sur un toit.

Le 21 mars, nos batteries démasquèrent leurs feux sur la gorge du fort Matagorda, et, en même temps, elles tirèrent à boulets rouges contre le vaisseau embossé, qui servait de batterie flottante à l’ennemi.

Ce vaisseau, mouillé à petite portée, eût dû être brûlé ; mais le général d’Aboville, commandant supérieur de l’artillerie, devait