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gens de loisir, et qui même ne leur servent de rien, puisqu’on ne les parle plus. La démocratie, qui se pique avant tout d’être utilitaire et pratique, ne veut donner aux jeunes gens que des connaissances dont ils puissent tirer un profit immédiat. C’est dans cet esprit qu’à la fin du siècle dernier, à la place des universités et des collèges qu’on venait de détruire, on institua les écoles centrales. Dans ces écoles, le latin et le grec avaient fort peu de place : sur quatorze professeurs, deux seulement étaient chargés des belles-lettres et des langues anciennes. Mais en revanche on y enseignait les mathématiques, la physique, la chimie, les arts mécaniques, l’astronomie, l’économie politique, le dessin, la bibliographie, la grammaire générale, toute l’encyclopédie. Il était entendu qu’elles devaient rester entièrement étrangères aux divers cultes ; et non-seulement elles les tenaient à l’écart, mais elles aspiraient à les remplacer : les instituteurs publics devenaient « des officiers de morale, » et devaient remplir « quelques-unes des fonctions bienfaisantes auxquelles les prêtres étaient autrefois appelés. » C’était l’aurore d’un temps nouveau ! « Ainsi, disait-on, devait finir le siècle qui avait perfectionné l’esprit humain et préparé le plus grand bonheur des peuples. » Il semblait que ces écoles, dans lesquelles on se plaisait à placer les bustes de Brutus, de Guillaume Tell et de Rousseau, allaient accomplir toutes les promesses, opérer toutes les réformes que les grands esprits annonçaient depuis cinquante ans. Aussi furent-elles accueillies avec enthousiasme par les partisans des idées nouvelles ; en certains pays, on les ouvrit au son des cloches et au bruit du canon[1]. Mais, hélas ! elles ne durèrent que quelques années. Aucune des espérances qu’elles avaient fait naître ne fut réalisée, et ce n’est qu’après un siècle écoulé qu’elles ont revu le jour ; car on peut dire qu’à tout prendre, notre « enseignement moderne » n’est qu’une autre forme, un peu modifiée et perfectionnée, de celui qu’on essaya de donner dans les écoles centrales.

Nous voilà donc à peu près au point où nous étions à la fin du siècle dernier ; mais ce n’est pas d’un bond que nous y sommes revenus. Nous avons marché pas à pas, par étapes successives, passant d’une réforme à une autre, et il n’est pas sans intérêt de voir quels chemins nous avons suivis.

Quand Napoléon créa l’Université, la réaction triomphait : en toute chose, on voulait retourner au passé. Il fut donc entendu

  1. J’ai pris ces détails dans le livre de M. Picavet sur les Idéologues. — Il serait bien à désirer que quelqu’un nous fit une étude complète et impartiale sur les écoles centrales.