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manquait de professeurs : — il fonda l’école normale de Cluny pour en former. L’éducation de ces jeunes gens achevée, il fallait constater leur savoir, honorer leur condition, leur donner des titres à l’estime de leurs collègues et au respect de leurs élèves : — il institua pour eux un concours particulier d’agrégation. Mais les examens ne donnent pas l’expérience, et il était à craindre que des maîtres jeunes et qui débutaient n’eussent quelque peine à se diriger dans un enseignement nouveau, où il n’y avait pas de traditions établies : — il fit rédiger des programmes étendus qui devaient leur tracer la route. Enfin, il n’ignorait pas qu’une innovation aussi considérable risquait de mécontenter ceux mêmes qui étaient chargés de l’exécuter : c’était le plus grand danger que pouvait courir sa réforme. Les recteurs des académies, les inspecteurs de l’Université sont des conservateurs de nature et de fonctions, qui tiennent aux anciennes méthodes et n’aiment guère qu’on dérange les habitudes prises. Sans faire aucune résistance ouverte, ils peuvent, par une mauvaise volonté secrète et des lenteurs calculées, nuire à ce qu’ils ont l’air de vanter, et perdre ce qu’ils devraient faire réussir. M. Duruy sut animer, par ses circulaires, ces personnages d’ordinaire si graves et si froids, et il s’en fit, contre toute attente, les collaborateurs les plus dévoués. C’est ainsi qu’en quelques mois tout fut sur pied et marcha.

À cet enseignement qui venait de naître, il fallait donner un nom : on l’appela l’enseignement spécial. Ce n’était pas un nom heureux ; il manquait de propriété et de précision, et l’on discuta beaucoup avant de se résigner à l’accepter. On finit pourtant par le prendre, parce qu’on n’en trouva pas d’autre. Il avait, d’ailleurs, une qualité précieuse, nous dit naïvement le rapporteur de la loi, c’est qu’il était vague, et que chacun l’entendant comme il voulait, il mettait d’accord tout le monde.

L’enseignement spécial devait être établi, dans les lycées et collèges, à côté de l’enseignement classique ; c’était une nécessité : où aurait-on pris 50 ou 60 millions de francs pour bâtir des maisons nouvelles d’éducation ? Il n’y avait pas moyen de les demander aux chambres, qui, nous l’avons vu, ne voulaient rien donner. D’ailleurs, M. Duruy trouvait un avantage à faire vivre sous la même discipline, dans une égale communauté de goûts et de sentimens, ces enfans d’origine et de destinations différentes. « Ce contact, disait-il, profitera aux uns et aux autres. Il est bon que ceux qui seront plus tard agriculteurs ou industriels, avocats ou médecins, aient vécu dans l’intimité du collège et gagné ensemble les mêmes récompenses, en attendant qu’ils gagnent celles que l’État réserve à tous les représentai distingués des diverses professions sociales. »