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court le danger de voir, dans les périodes de calme, la masse électorale se désintéresser, laissant ainsi le champ libre à des majorités de hasard. Le danger que nous signalons se présente surtout là où existe le referendum obligatoire. Pour parer à cet inconvénient, différens perfectionnemens indispensables ont déjà été apportés au fonctionnement du scrutin. Les bureaux de vote ont été multipliés de manière à être plus à proximité de l’électeur : cette réforme si élémentaire n’a pas eu lieu sans provoquer, dans certaines occasions, la résistance des coteries autoritaires, qui sentaient bien que le contrôle permanent du peuple, déjà si effectif, ne leur était pas favorable. En outre, les votations ont été portées au dimanche, le jour le plus commode à la grande masse, et on cherche à grouper plusieurs objets dans un seul scrutin. Mais, malgré toutes ces facilités, l’abstention atteint parfois des proportions alarmantes. Que faire pour réagir contre ce laisser-aller ? Cette question se pose dans toutes les démocraties. Aux États-Unis, un des collaborateurs des Annals of American Academy, M. Halls, l’agitait dans le numéro d’avril dernier de cette revue, et concluait au compulsory vote, ou vote obligatoire. En France, M. Paul Laffitte, dans son livre sur le Suffrage universel et le régime parlementaire, n’hésite pas à se prononcer dans le même sens. On sait qu’en Angleterre, John Stuart Mill avait déjà soutenu ce point de vue.

En Suisse, le sentiment public incline de plus en plus à regarder l’électorat, non comme un droit dont il est loisible de ne pas user, mais comme un devoir, comme une fonction analogue à celle du jury. Dans la portion la plus vivante de la population, c’est un axiome qu’il faut voter chaque fois que la parole est donnée au souverain, et que le civisme le plus élémentaire exige ce petit effort.

Le canton éminemment progressiste de Zurich commence à penser qu’il ne faut pas s’en tenir, à cet égard, à des vœux platoniques. Là, chaque commune est autorisée à introduire chez elle le vote obligatoire, et plusieurs localités, usant de cette faculté, ont déclaré tout citoyen valide, hors les cas de force majeure, astreint à venir émettre son suffrage. La sanction ne va pas, il est vrai, ainsi que le voudrait M. Laffitte, jusqu’à déposséder de ses droits politiques tout électeur qui, après trois sommations successives, persisterait dans son abstention. Il a paru suffisant d’inscrire la contrainte dans la loi, en l’accompagnant d’une faible amende (60 centimes à 1 franc), et les résultats ont été d’autant plus satisfaisans que, dans l’ensemble du canton de Zurich, le vote par délégation facilite l’accomplissement du devoir à remplir. Tout citoyen