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une politique aussi. Ce n’est pas tout pour lui que d’enseigner ou de prêcher les hommes : il se croit également investi du droit ou chargé de l’obligation de les conduire. Lisez plutôt, dans sa Politique, l’article intitulé : Erreurs des hommes du monde et des politiques sur les affaires et les exercices des religions. Aussi, ce qu’il a vu d’abord dans le dogme de la Providence et ce qu’il s’est complu à en bien dégager, est-ce l’idée de gouvernement, et, pour user de ses propres expressions, ce sont les « maximes d’État » de la « politique du ciel. » Les rois sont comme des dieux, et Dieu est le Roi des rois. De même donc que les rois sont rois pour faire régner sur terre, par des moyens dont le choix et l’application n’appartiennent qu’à eux, la justice, la paix, et la prospérité ; de même, Dieu, par des voies qui nous sont cachées, conduit le monde à des fins également dignes de sa justice, de sa puissance, et de sa bonté. Dans les Sermons, dans le Discours sur l’histoire universelle, dans la Politique tirée des paroles de l’Écriture sainte, il n’y a pas d’idée qui revienne plus souvent, de comparaison qui soit plus naturelle à Bossuet, d’analogie qui lui paraisse mieux fondée. Évidemment, comme il y avait une affinité secrète entre le pessimisme de Pascal et la sévérité ou la dureté du dogme de la chute, il y en a une entre le dogme de la Providence et le goût comme inné de Bossuet pour la règle, pour l’ordre, pour l’unité. S’il a détendu comme personne l’idée de la Providence, c’est qu’il l’a sentie, ou éprouvée, si je puis ainsi dire, comme personne ; et quand il n’aurait rien ajouté que lui-même à ce qu’on en avait dit avant lui, c’est pour cela qu’il en demeurerait toujours le philosophe et le théologien.

Suivons donc le développement de l’idée dans son œuvre ; et voyons-la, non pas assurément d’informe ni de vague, mais pourtant, de flottante ou de trop générale encore, devenir plus précise ou plus particulière, et, en se particularisant, s’élargir, s’enrichir, s’approfondir.

Elle est partout dans les Sermons, et par exemple, il y a longtemps qu’on l’a signalée dans ce sermon Sur la bonté et la rigueur de Dieu, que je rappelais plus haut. Bossuet avait alors environ vingt-cinq ans. Peu de sermons sont plus caractéristiques de sa première manière, agressive et souvent violente, militante et passionnée, peu pitoyable à la faiblesse humaine. L’idée que ce jeune prêtre se fait là de la Providence, — ou plutôt des vengeances du Dieu dont il est le ministre, — outre qu’elle manque un peu de générosité, manque surtout d’ampleur et d’originalité. Tout frémissant encore d’une horreur sacrée des bourreaux du Christ, comme s’il sortait d’assister au drame du calvaire, il n’y a rien là de personnel que l’accent, que l’éclat de la parole, que l’allure