Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/670

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

choses humaines, tout se remettre en place, et le désordre enfin prouver l’ordre. Mais, pour reconnaître ensuite avec lui, — je parle en libertin, — « toute l’économie de la Providence » dans le verset du psalmiste : Calix in manu Domini vini meri plenus mixto, n’y faut-il pas peut-être, avec beaucoup de bonne volonté, quelque subtilité d’esprit ? ou est-on seulement obligé de l’y reconnaître ? J’ajoute que, dès le second point, il ne s’agit plus dans le sermon que de l’utilité des afflictions, laquelle fait sans doute une partie de la question de la Providence, mais ne l’est pas cependant tout entière, et semble en résulter comme une conséquence plutôt qu’elle ne sert à la démontrer ou à l’établir. S’il est d’ailleurs toujours hasardeux de lier le libertinage de l’esprit à celui des mœurs, — parce que la vertu d’un seul athée suffit à renverser toute l’argumentation, — c’est un danger que Bossuet n’a pas évité dans ce premier sermon.

Je le trouve plus libre dans le second, dont l’ordonnance, ayant plus de simplicité, a plus de solidité aussi. Les libertins font plus ici que de paraître, ils occupent tout le discours, comme ils occupaient, en le composant, toute la pensée du prédicateur. Je ne puis résister au plaisir d’en recopier au moins l’exorde, l’un des plus beaux que nous ayons de Bossuet, où l’on entend sonner comme un bruit de guerre, et dont le geste superbe semble celui d’un Condé menant ses troupes à l’assaut :


Nous lisons dans l’histoire sainte que le roi de Samarie, ayant voulu bâtir une place forte qui tenait en crainte et en alarme toutes les places du roi de Judée, ce prince assembla son peuple, et fit un tel effort contre l’ennemi que, non-seulement il ruina cette forteresse, mais qu’il en fit servir les matériaux pour construire deux grands châteaux par lesquels il fortifia sa frontière. Je médite aujourd’hui, Messieurs, de faire quelque chose de semblable, et dans cet exercice pacifique, je me propose l’exemple de cette entreprise militaire. Les libertins déclarent la guerre à la Providence divine, et ils ne trouvent rien de plus fort contre elle que la distribution des biens et des maux, qui paraît injuste, irrégulière, sans aucune distinction entre les bons et les méchans. C’est là que les impies se retranchent comme dans leur forteresse imprenable ; c’est de là qu’ils jettent hardiment des traits contre la sagesse qui régit le monde, se persuadant faussement que le désordre apparent des choses humaines rend témoignage contre elle. Assemblons-nous, Chrétiens, pour combattre les ennemis du Dieu vivant ; renversons les remparts de ces nouveaux Samaritains. Non contens de leur faire voir que cette inégale dispensation des biens et des maux du monde ne nuit en rien à la Providence, montrons, au contraire, qu’elle l’établit. Prouvons, par le désordre même, qu’il y a un ordre supérieur qui rapporte tout à soi