Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/691

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la vérité ou plutôt du Traité de la nature et de la grâce. Certes, il n’y avait pas de chrétien plus sincère, — disons, si l’on veut, plus candide, — que Malebranche, mais il n’y avait pas non plus de cartésien plus naïf, ni de philosophe ou de spéculatif qui s’assurât plus tranquillement de la parfaite orthodoxie de ses sentimens, sur la droiture et la pureté de ses intentions. On pouvait dire de lui, bien plus encore que de Spinosa, que ses livres étaient pleins de Dieu ; mais son Dieu, dont les volontés générales enveloppaient des conséquences quelquefois regrettables, n’était déjà plus celui de l’Écriture, et sa manière de traiter le miracle ne tendait à rien moins qu’à le nier, en le faisant rentrer dans des lois qu’il faut qu’il interrompe, ou qu’il contrarie, ou qu’il renverse, pour être le miracle. Bossuet vit le danger. Peut-être même est-ce alors, aux environs de 1685, qu’il aperçut plus clairement qu’il n’avait fait jusque-là l’incompatibilité du cartésianisme et de la religion. Mais ce qu’il vit surtout, c’est que, si la doctrine de Malebranche se répandait, c’en était fait du dogme de la Providence.


Croyez-moi, Monsieur, — écrivait-il au disciple de Malebranche, — pour savoir de la physique et de l’algèbre et pour avoir même entendu quelques vérités générales de la métaphysique, il ne s’ensuit pas pour cela qu’on soit fort capable de prendre partie en matière de théologie, et afin de vous faire voir combien vous vous méprenez, je vous prie seulement de considérer ce que vous croyez qui vous favorise dans mon Discours sur l’histoire universelle. Il m’est aisé de vous démontrer que les principes sur lesquels je raisonne sont directement opposés à ceux de votre système… Je ne vous en écrirai ici que ce mot, qu’il y a bien de la différence à dire, comme je fais, que Dieu conduit chaque chose à la fin qu’il s’est, proposé par des voies suivies, et de dire qu’il se contente de donner des lois générales dont il résulte beaucoup de choses qui n’entrent qu’indirectement dans ses desseins. Et puisque, très attaché que je suis à trouver tout lié dans l’œuvre de Dieu, vous voyez au contraire que je m’éloigne de vos idées générales, de la manière que vous les prenez, comprenez du moins une fois le peu de rapport qu’il y a entre ces deux choses.


On le voit, ce sont d’autres vérités aussi, mais c’est surtout le dogme de la Providence qui lui paraît menacé par le système de Malebranche. Dans une autre lettre, il ne cache pas à l’évêque de Castorie qu’il a tout fait pour empêcher la publication du Traité de la nature et de la grâce. Et je ne me porte point garant que, si la préparation de son Histoire des variations, — qui était sur le point de paraître, — ne l’eût absorbé tout entier, il eût voulu lui-même répondre à Malebranche, mais ce qui est certain, c’est que non