Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/717

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

incident d’une autre nature qui ne laisse pas de faire quelque bruit en l’Europe. Au moment où les princes alliés du continent passaient à Londres, une escadre française sous les ordres de M. l’amiral Gervais, voyageant elle aussi pour son plaisir, pour montrer ses couleurs, se dirigeait vers le Sund et la Baltique. Elle s’est arrêtée d’abord devant Copenhague, où elle a trouvé une population hospitalière, un souverain et des princes empressés à lui témoigner les vieilles sympathies danoises, un pays tout entier qui a paru heureux de saluer le drapeau de la France. Elle s’est avancée encore, elle est arrivée sur la côte suédoise, devant Stockholm, où l’accueil n’a pas été moins chaleureux et moins expansif. Partout nos marins n’ont rencontré que des visages amis. Le roi Oscar, en recevant l’amiral et ses lieutenans, s’est plu à se souvenir de son origine française, de ses voyages en France, de ses relations avec quelques-uns de nos chefs militaires, des vieux liens d’amitié qui unissent les deux pays. De toutes parts banquets et bals ont été offerts à nos officiers dans une ville en fête. — Ce n’était que le prélude de la réception que l’escadre allait trouver à Cronstadt où elle est encore, où pour la première fois depuis un demi-siècle paraissaient des navires de guerre français. Ici les démonstrations se succèdent et prennent des proportions de plus en plus significatives qui vont jusqu’à l’enthousiasme. A Cronstadt comme à Saint-Pétersbourg nos marins sont l’objet des manifestations les plus vives de sympathie. L’empereur lui-même a tenu à faire sa visite à l’escadre française, et il s’est rendu à bord du vaisseau-amiral le Marengo, accompagné de l’impératrice, des grands-ducs, de la reine de Grèce. Étrange révolution des choses ! Un tsar porte aujourd’hui un toast à M. le président Carnot, et devant un tsar une musique militaire russe joue la Marseillaise ! Il paraît bien, en effet, que tout arrive dans le monde. Puis, comme si cela ne suffisait pas, les nouvellistes à l’esprit inventif ont déjà imaginé un voyage de la tsarine, du grand-duc héritier, et qui sait ? de l’empereur lui-même en France, — un voyage de M. le président de la république en Russie. On va probablement un peu vite. Restons-en, si l’on veut, aux manifestations provoquées par la présence de notre escadre dans les eaux russes et couronnées ces jours derniers par un échange de chaleureuses cordialités entre l’empereur Alexandre et M. le président de la république. C’est bien assez !

Ainsi, en peu de jours voilà le spectacle rare offert à l’Europe. D’un côté les alliés du continent échangent des complimens à Londres, d’un autre côté Français et Russes échangent des témoignages de sympathie à Cronstadt comme à Saint-Pétersbourg. Voilà le fait qui a éclaté, non pas comme un coup de foudre, mais peut-être comme un avertissement et qui n’est pas sans faire une certaine figure dans notre histoire contemporaine ! Ni à Cronstadt, ni à Londres d’ailleurs, il faut l’ajouter, il n’a pas été dit un mot qui ne soit favorable à la paix ; qui