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Syrie, il n’a aucun goût pour les palmiers de serre, et selon les lieux et les temps, il préfère le sapin à l’oranger, le chardon à la rose. Rien ne le choque plus qu’un contresens ; rien ne lui paraît plus criminel qu’un crime de lèse-nature. Il est amoureux de la vérité locale dans le sens le plus profond de ce mot ; pour lui plaire, il faut que les choses et les hommes lui apparaissent dans leur milieu naturel et comme enveloppés de leur air natal. Le chant le plus mélodieux du monde lui semble insipide dès que c’est un air appris. Il n’admet pas que le pierrot, qui vit sur les toits, essaie de lui révéler le mystère des forêts et du printemps. A tout faux rossignol, il dira : Sonate, que me veux-tu ?

Le réaliste a l’amour des convenances, et dans tous les temps le convenu lui a inspiré une insurmontable aversion. Mais que faut-il entendre par le convenu ? C’est ce qui manque de réalité, ce qui n’est pas vrai. Ici encore il est bon de s’expliquer : « As-tu jamais vu Jésus-Christ ? demandait Courbet à un élève de l’Académie des beaux-arts. Pourquoi donc fais-tu son portrait ? » Il disait aussi : « Que les peintres ne me montrent pas des anges ! Ils n’en ont jamais vu ni moi non plus. » Mais pour les gens qui y croient, les anges sont des êtres aussi réels que des bourgeois ou des paysans. Pour tout bon catholique, le corps du Christ se trouve réellement dans l’Eucharistie, et le pain et le vin ne sont que des apparences. Pour les Arabes très inconnus et très célèbres qui ont écrit les Mille et une nuits, les génies et les goules étaient d’effrayantes vérités, comme pour les Grecs le Jupiter d’Olympie était la plus magnifique des réalités. La foi au surnaturel, les croyances communes, les religions et leurs dogmes sont un des élémens essentiels, une des parties constituantes du système du monde, ou, si l’on aime mieux, une des couches les plus profondes de la nature sociale, et à quelque école qu’il appartienne, c’est une matière sur laquelle l’imagination de l’artiste a le droit de s’exercer aussi bien que sur toute autre.

Qui n’a pris plaisir à contempler dans un ruisseau la mobile image des arbres immobiles qui le bordent ? Au gré de l’eau qui court et les remue, ces images frissonnent, tressaillent, s’agitent, se courbent et se contournent, et tour à tour se raccourcissent ou s’allongent. Voilà des arbres dont le tronc rigide est devenu flexible, dont le tronc résistant ne résiste plus ; ils ont les pieds en haut, la tête en bas, et tout leur poids repose sur leurs branches les plus menues. Ils n’existent pas et ils ont l’air d’exister. Quand vous serez las de ce spectacle, levez les yeux au ciel ; vous y verrez peut-être des nuages qui ressemblent à des montagnes, à des éléphans, à des chameaux ou à des tours, à des châteaux