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a dû se servir de torches et de morceaux de bois enflammés pour combattre les ennemis et les bêtes féroces, aussi bien que pour incendier les demeures de ses adversaires. Au livre XVI de l’Iliade, Hector tente de brûler les vaisseaux des Grecs ; mais Homère ne signale ni matières ni procédés spéciaux, mis en œuvre à cet effet. Le plus vieux monument connu où figure le feu comme agent militaire est le palais de Khorsabad : dans les sculptures en relief dessinées par M. Botta (Monumens de Ninive, texte, p. 124, planches 52 et 61), on voit une partie de la forteresse en flammes, tandis que des guerriers assyriens incendient les portes avec des torches. Ailleurs, les assiégés lancent de l’huile bouillante sur les soldats qui montent à l’assaut. Tandis que l’assaillant bat le mur avec des béliers garnis de plaques de métal et de peaux de bêtes, les défenseurs jettent sur la machine des torches enflammées, et leurs adversaires éteignent l’incendie, en y projetant de l’eau avec des récipiens à longs manches. Ailleurs, des archers lancent pardessus la muraille des flèches environnées d’étoupes enflammées, pour mettre le feu aux édifices. (Histoire ancienne de l’Orient, par Lenormant et Babelon, 9e édition, 1887, t. V, p. 62 et 63.)

Ce sont là, au VIIIe siècle avant notre ère, les mêmes procédés d’attaque et de défense des places, qui eurent cours pendant deux mille ans, jusqu’à l’invention de l’artillerie moderne. On sait en effet que les Assyriens étaient de puissans organisateurs militaires ; ils sont réputés les créateurs des machines de siège. Cependant, dans les images que je viens de rappeler, l’emploi des matières presque impossibles à éteindre par l’action de l’eau, telles que les résines ou le pétrole, n’est nullement indiqué.

Quoi qu’il en soit, les historiens grecs signalent l’emploi des substances incendiaires dans la plupart des grands sièges dont ils nous ont conservé le récit. C’est ainsi que Thucydide (livre II, 75) décrit le siège de Platée, en 431 avant J.-C, par les Péloponésiens.

Les assiégeans, après avoir essayé sans succès d’atteindre le mur de la place au moyen d’une chaussée, accumulèrent des bois et des fascines entre la chaussée et le mur, en quantités énormes, et ils y mirent le feu avec du soufre et de la poix, dans l’espoir que le feu se communiquerait aux maisons de la ville. Jusqu’à cette époque, ajoute l’historien, on n’avait jamais vu un incendie pareil excité de main d’hommes. Cependant l’attaque échoua. Entretemps on jetait sur la ville des traits porte-feu : πυρφόροις οἰστοῖς (purphorois oistois). C’est là, je crois, la première mention connue des projectiles ignés, qui ont joué un si grand rôle dans les guerres des anciens.

Arrien, en racontant le siège de Tyr par Alexandre (332 av. J.-C),