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L’usage des produits de cette nature, dans les sièges, n’est pas fondé sur des conjectures ou des raisonnemens : il est exposé par Énée le tacticien, le plus vieil auteur qui ait décrit les procédés de l’art militaire, dans un ouvrage contemporain de Xénophon. C’était, paraît-il, un général arcadien, c’est-à-dire, comme Xénophon lui-même, l’un de ces chefs mercenaires lettrés, qui parcouraient le monde grec après la guerre du Péloponèse, toujours prêts à se mettre à la solde des barbares et des tyrans, aussi bien que des républiques. Ils réduisirent la guerre en un art méthodique. — Énée explique ainsi, dans deux chapitres successifs, à l’usage alternatif des parties adverses, assiégeans et assiégés, comment on emploie le feu dans les attaques de villes et comment on s’en défend.

Ajoutons, pour donner une idée complète des procédés de défense, que les assiégés ne mettaient pas seulement en œuvre les corps incendiaires proprement dits, mais aussi d’autres agens fondés sur l’emploi de la chaleur, tels que l’eau, l’huile et la poix bouillantes, le plomb fondu même, signalé par Polyen. Dans les récits du siège de Marseille, au temps de César, il est question de barres de fer rougies, que l’on projetait sur les machines d’attaque. Ce devait être là un procédé dangereux, analogue aux boulets rouges autrefois usités pour mettre le feu aux vaisseaux. L’un des moyens de défense les plus redoutés consistait dans l’emploi du sable rougi au feu, qui pénétrait les vêtemens et les cuirasses et infligeait aux assaillans de cruelles souffrances. Quinte-Curce parle de boucliers ainsi remplis de sable brûlant, que les Tyriens projetaient du haut de leurs murs sur les soldats macédoniens. La chaux vive en poudre est aussi signalée : première ébauche du recours à ces agens chimiques corrosifs, que l’emploi du vitriol a vulgarisés de notre temps.

Ainsi tous les moyens étaient bons pour repousser l’ennemi : même les procédés enfantins nés de l’imagination populaire, tels que l’emploi des abeilles dans les galeries de mine, ou celui des pots remplis de serpens venimeux que l’on projetait sur l’ennemi, — on prétend qu’Annibal en fit usage dans une guerre navale ; — ou bien encore les bêtes féroces, lâchées contre les Romains par les derniers défenseurs de l’indépendance grecque à Sicyone. Nous avons vu de notre temps de semblables illusions, lors du siège de Paris, soit que l’on parlât encore des bêtes féroces, soit que l’on proposât l’usage des obus chargés d’acide cyanhydrique ou de phosphore : procédés atroces vis-à-vis des individus atteints, mais d’un effet aussi peu durable qu’inefficace contre un corps d’ennemis résolus.

Le pétrole, ou huile de naphte, était plus formidable. Si Thucydide