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ressorts d’acier furent introduits dans les arbalètes. Jusque-là on ne savait pas travailler convenablement le fer, et on se bornait aux contrepoids et aux cordes tendues. Or, pour développer ainsi une force projective suffisante, il faut du temps et des hommes. Et, en effet, lorsque les Sarrasins jetèrent le feu grégeois sur les Français en Égypte, ils en firent seulement trois projections en une nuit, à l’aide d’une perrière, et quatre, à l’aide d’une arbalète à tour. C’est que de si puissans instrumens, nécessaires pour lancer des pots à feu et de gros artifices, ne pourraient être bandés par un seul homme et à plusieurs reprises, dans le court intervalle d’un combat naval ; quoiqu’un homme suffise, à la rigueur, pour tendre un arc ou une petite arbalète, susceptible de pousser un projectile d’un poids médiocre, tel qu’une pelote d’artifice ou une flèche incendiaire.

Il y a là quelque chose d’obscur, à moins que les Grecs n’eussent déjà appris à utiliser le recul de la fusée : ce qui reste incertain. Car le vague, intentionnel ou non, des descriptions de leurs historiens, ne permet pas de vérifier ce point essentiel.

En tout cas, le feu grégeois était lancé, πῦρ πεμπόμενον, par quelque procédé, sur les navires ennemis. Pour opérer ainsi, il était nécessaire que l’on se trouvât à une courte distance et que la mer fût tranquille. La contre-indication d’une mer agitée est expliquée dans certains passages des auteurs. L’empereur Léon le philosophe présente l’emploi du feu grégeois, dans ses Institutions militaires, comme celui d’une matière lancée avec des tubes, et qui, précédée de tonnerre et de fumée, embrase les navires.

L’une des propriétés qui surprenait le plus les contemporains, c’est que la flamme du feu grégeois, au lieu d’aller toujours de bas en haut, comme une flamme ordinaire, pouvait être dirigée en tous sens, même de haut en bas. C’est là une faculté, bien connue aujourd’hui, de tout mélange où le corps combustible est associé avec un comburant, tel que le salpêtre. Elle permet de darder à volonté la flamme sur un homme ou sur un objet. Or cette propriété était alors nouvelle, effrayante, et elle concourait aux effets incendiaires.

Le feu grégeois se lançait aussi en le portant à la main. Après l’avoir entassé dans des tuyaux de roseaux, on l’enflammait à l’orifice, au moment de la projection. Au siège de Durazzo, par Boemond, en 1106, dans un combat livré au fond d’un souterrain, les Normands furent ainsi brûlés à la barbe et au visage ; mais sans éprouver ces accidens effroyables que les récits emphatiques des chroniqueurs pourraient faire supposer.

C’est que, si le feu grégeois était redoutable pour les navires, pour