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avoir traversé le milieu arabe, comme il est arrivé pour l’alchimie elle-même. La date de la composition actuelle de cet ouvrage paraît être la même que celle des traductions latines des alchimistes arabes, c’est-à-dire qu’elle serait comprise entre la fin du XIe siècle et celle du XIIIe, époque où les manuscrits que nous possédons ont été copiés. On a voulu la faire remonter beaucoup plus haut, et trouver le nom de Marcus Græcus dans les écrits du médecin arabe Mésué : cette erreur a été accréditée par Dutens, dans la dernière édition (1812) d’un ouvrage paradoxal, où’ il prétendait attribuer aux anciens la plupart des découvertes modernes, et elle a été reproduite par Hœfer et d’autres auteurs ; mais elle repose sur une fausse attribution.

Reproduisons les formules que Marcus Græcus donne pour le feu grégeois et pour la fusée. — « Voici comment vous préparez le feu grec. Prenez soufre vif, tartre, sarcocolle (résine) et poix, sel cuit, huile de pétrole et huile commune, faites bien bouillir toutes ces choses ensemble, puis trempez-y des étoupes et allumez. Vous pouvez, si vous voulez, couler le mélange par un entonnoir. Une fois enflammé, on ne peut l’éteindre qu’avec de l’urine, du vinaigre ou du sable. » — Dans cette formule, le salpêtre n’est pas nommé ; mais le mot sel cuit (sal coctum) le désigne probablement.

Le salpêtre apparaît au contraire d’une façon incontestable dans la composition des fusées ou feux volans : — « Le feu volant, dit Marcus Græcus, a deux compositions. Voici la première : prenez une partie de colophane, une partie de soufre vif, six parties de salpêtre, délayez le tout, bien pulvérisé, dans de l’huile de lin ou de laurier : cette dernière vaut mieux. Faites fondre dans l’huile, puis placez dans un tube, ou dans un bois creux, et allumez. Le tube s’envole aussitôt là où vous voulez et brûle tout. — Second procédé : prenez 1 livre de soufre vif, 2 de charbon de tilleul ou de saule, 6 de salpêtre ; broyez ces trois choses très finement dans un mortier de marbre. Mettez cette poudre dans une enveloppe de fusée ou de pétard à votre volonté. » Cette dernière formule représente une variété de poudre à canon.

Presque tous les auteurs de pyrotechnie du XVIe siècle parlent du feu grégeois, à peu près dans les mêmes termes et avec les mêmes détails, sans qu’aucun paraisse soupçonner que le secret en ait été perdu. Ainsi Léonard de Vinci le décrit comme obtenu en mélangeant à chaud du charbon de bois, du nitre, de l’eau-de-vie, de la résine, du soufre, de la poix et du camphre. Cette formule est copiée d’après Valturio, qui a composé, vers 1450, un traité sur l’art de la guerre. Le Livre de canonnerie, publié en 1561, donne également plusieurs formules de feu grégeois, traduites ou imitées de Marcus Græcus. On y rencontre aussi les compositions