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d’assurer la réputation de leur esprit que celle de leur jugement et de leur caractère. Mais singer n’est pas imiter.


II

On ne saurait esquisser une histoire de la comédie de salon sans s’occuper du théâtre de la duchesse du Maine. Cette enragée de distraction, cette galérienne du bel esprit, cette égoïste à la quatrième puissance, joue ici le rôle d’initiatrice, et c’est là peut-être son titre unique à l’indulgence de la postérité. Le rire n’est-il pas le principe de la gaîté, comme la gaîté est l’apanage de la sérénité, de l’optimisme ? Avoir procuré au monde un nouveau plaisir, cela égale presque la découverte d’une étoile, car la vie ne vaut la peine d’être vécue que par la combinaison du nécessaire, de l’utile, de l’agréable, et les maladies morales ne sont pas les moins redoutables. Aussi bien on nous célèbre, on nous condamne souvent pour des actions qui, mieux approfondies, produiraient un effet moindre ou contraire, auxquelles nous n’avons qu’une part minime ; l’importance des choses bien moins que l’à-propos en fait le mérite, et l’histoire se présente comme une école d’incertitude, de modestie. En vulgarisant le goût de la comédie d’amateurs, Mme du Maine et ses courtisans ne songeaient qu’à s’amuser ; le reste vint par surcroît.

Les contemporains ont constaté avec quelle désinvolture la poupée de sang, à peine mariée à un demi-Louis (fils légitimé de Louis XIV et Mme de Montespan), s’affranchit des rites de l’étiquette : soirées officielles, conversations morales chez Mme de Maintenon, voyages ou toilettes de gala et dînettes dans le carrosse du roi ; ils ont dit son humeur impétueuse et inégale, sa mémoire prodigieuse, l’audace de son courage, sa parole juste et rapide, le tour précis de son esprit, cette hypertrophie du moi qui la fit croire en elle-même de la même manière qu’elle croyait en Dieu et en Descartes, sans examen, sans discussion, son ignorance absolue des défauts, des talens et des ridicules de ses amis (elle ne sortait pas de chez elle et n’avait pas même mis le nez à la fenêtre), la tyrannie de son commerce et la brutale franchise de ses caprices ; elle-même avoue fort joliment qu’elle ne peut se passer des personnes dont elle ne se soucie point, et on la voyait apprendre avec indifférence la mort de gens qui lui arrachaient des larmes s’ils arrivaient un quart d’heure trop tard à une partie de promenade. Peu lui chaut d’être entendue, il lui suffit d’être écoutée. Sa vie est une longue jeunesse que n’éclaira jamais l’expérience ; comme celui de la duchesse de Chaulnes, son esprit semble le char du soleil abandonné à Phaéton. Se faire du bruit à elle-même, conserver