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deux comédies écrites en 1747 pour le théâtre de Sceaux, l’Engouement, la Mode, pleines d’amusantes critiques contre certains ridicules de la société. Il y manque ce qui manque presque toujours aux pièces d’amateurs, qu’ils s’appellent Guibert, Hénault, Pont de Veyle, Du Deffand, Forcalquier, l’action, le mouvement, l’art de l’intrigue, de la mise en scène, mais on y rencontre des dialogues spirituels, des traits de caractère empruntés à plusieurs personnages, accumulés sur une même tête. Orphise, par exemple, excuse plaisamment ses engouemens perpétuels : « Plus on a de goût pour les choses parfaites, plus on est exposé à les croire où elles ne sont pas. » Dans la Mode, satire vigoureuse des absurdités où entraînait le culte de cette inconstante divinité, je rencontre une comtesse qui aime son mari et prend des amans pour ne pas se chamarrer de ridicules, parce que la vie est un tissu de bienséances qu’il faut remplir. D’ailleurs rien ne lui est plus suspect que la trop grande fidélité ; aussi, après avoir refusé à sa fille un parti de tout point excellent, se ravise-t-elle lorsqu’elle croit savoir que le jeune homme a fait des folies pour une actrice. Et elle enseigne à sa fille qu’un mari est l’homme du monde avec qui on vit le moins. Elle déploie un luxe absurde, car pourvu que l’on lasse de la dépense, elle ne voit pas que le bien soit si nécessaire ; quant à l’étude, il ne faut rien connaître que l’histoire du jour, et, si l’on veut lire, que ce soit des brochures encore toutes mouillées, car, dès qu’elles sont sèches, on n’en veut plus. Écoutons-la discuter gravement, avec sa bonne amie la marquise, le choix d’un galant nouveau :

La Marquise. — On se l’arrache, c’est à qui l’aura ; il est vrai qu’on le garde si peu que dans huit jours ce serait à recommencer. J’aime mieux quelque chose de plus fixe. Il y en a un autre d’une figure charmante, à ce qui m’a été dit (car je ne l’ai jamais vu), mais c’est un homme qui a des singularités. Il veut du mystère dans ses galanteries, et prétend qu’on ne sache pas à qui il est attaché. Vous m’avouerez qu’il y a peu de femmes assez dupes pour vouloir supporter les sujétions d’un engagement, sans y rien trouver qui flatte la vanité, car enfin il ne faut pas croire que les frais n’en soient pas grands. C’est bon marché quand les complaisances se partagent par moitié ; combien de femmes se voient obligées d’en porter les trois quarts !

La Comtesse. — Et quelquefois le tout. C’est ne guère connaître la vie des femmes du monde que de la croire aisée ; elle est plus austère que la vie retirée.

La Marquise. — Ah ! vous avez bien raison. Il n’y a qu’à voir en détail comment se passent nos journées. Le matin, quelle discussion avec les ouvriers, les marchands, pour le choix des parures ! Quels