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voyant l’affectation avec laquelle le roi applaudissait leur propre charge, ils n’osèrent se fâcher et prirent gaîment la leçon. Louis XVI fut tellement enchanté qu’il voulut que la troupe eût bouche à cour et il la fit copieusement régaler.

Parmi les fêtes du Petit-Trianon, il faut mentionner celles qu’on donna successivement en l’honneur de Joseph II, du comte et de la comtesse du Nord, du roi de Suède. On joua Iphigénie en Aulide de Glück, Zémire et Azor, et le Dormeur éveillé, de Marmontel et Grétry, le tout accompagné de concerts, illuminations, feux d’artifice et soupers pantagruéliques ; à l’un de ces galas, on compte environ cent quatre-vingts plats de boucherie, volaille ou gibier. La reine avait banni l’étiquette de Trianon, elle arrêtait elle-même la liste des spectateurs, recevait et faisait placer. À la représentation d’Iphigénie, l’assemblée se composa de deux cent soixante-trois personnes auxquelles on distribua le libretto. Sageret avait brossé de superbes décors : un rideau d’horizon, chargé de nuages, avec la mer au bas ; pour l’orage, nouveau rideau avec transparens et appareil de nuées destiné à la descente de Diane ; le temple de la déesse, dans l’ordre dorique, le temple de Minerve, dans l’ordre ionique ; un palais avec des colonnes doriques cannelées ; un autre palais souterrain, d’ordre toscan, avec une porte en bronze rehaussé d’or. Quand elle reçoit le tsarévitch, Marie-Antoinette donne aussi aux élus les livrets de l’opéra et du ballet : douze exemplaires ont été reliés en maroquin avec grande dentelle en or, aux armes de la reine et de ses hôtes. Une dame d’honneur de la comtesse du Nord, la baronne d’Oberkirch, portait à cette fête une coiffure aussi originale que gênante : des bouteilles plates courbées dans la forme de la tête, contenant un peu d’eau pour y tremper la queue des fleurs naturelles et les entretenir fraîches dans les cheveux. Qu’on juge des prodiges d’équilibre nécessaires pour conserver cette savante machine ; mais quand on en venait à bout, le printemps sur la tête au milieu de la neige poudrée produisait, paraît-il, un effet ravissant. La comtesse du Nord avait sur la tête un oiseau de pierreries qu’on ne pouvait regarder, tant il lançait de feux ; au moindre mouvement, il se balançait par un ressort en battant des ailes au-dessus d’une rose. Quant à Gustave III, lui offrir une fête mêlée de spectacles, c’est le prendre par son faible ; son délire théâtral ne va-t-il pas jusqu’à composer lui-même des pièces, et obliger des jeunes filles de haute naissance, des mères, des vieillards à les jouer avec lui. Il donne des leçons de déclamation à ses acteurs, emploie à ces jeux les diamans de la couronne, et lorsqu’il fait représenter son Comte d’Helmfeld, il écrit de sa main les cinq cents billets d’invitation. Enfin, c’est à l’Opéra qu’il entretient les ministres étrangers, et vainement l’ambassadeur de France lui