Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/863

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque docile qu’elle paraisse être à vos remontrances qui sont d’abord effacées par son goût démesuré pour les dissipations et les frivolités. » Et de déplorer ses entours, son engouement pour Mme de Lamballe, sa tendresse aveugle pour Mme de Polignac, les dépenses excessives et les promenades nocturnes sur la terrasse de Versailles. Bref, elle semble n’avoir que le choix des regrets, et Joseph II partage d’abord ses alarmes quand il s’écrie que, si l’on ne sait s’arrêter et prévenir, la révolution sera cruelle. Et puis il rend justice à ses qualités, il la déclare aimable et charmante, vertueuse, austère même, par caractère plus que par raisonnement. « Son premier mouvement, observe-t-il, est toujours le vrai. »

Marie-Thérèse dut se repentir d’avoir donné à sa fille deux comédiens comme maîtres de déclamation, surtout quand elle apprit sa première tentative théâtrale, « car d’ordinaire ces représentations finissent par quelque intrigue d’amour ou quelque esclandre. » Sa mort, survenue quelque temps après (29 novembre 1780), émancipait Marie-Antoinette, en la débarrassant de la tutelle occulte de Mercy, en lui enlevant l’appui moral de la correspondance maternelle.

La troupe de Trianon avait débuté par la Gageure imprévue, de Sedaine, le Roi et le Fermier, de Sedaine et Monsigny. Acteurs : la reine, Madame Elisabeth, la comtesse Diane de Polignac, le duc et la duchesse de Guiche, le comte d’Artois, le bailli de Crussol, M. d’Adhémar, dont la voix, assez belle jadis, mais devenue très chevrotante, excitait la gaité ; Vaudreuil, Esterhazy, Dillon, Besenval. On connaît cette jolie pièce, où Sedaine voulut montrer qu’il pouvait rivaliser avec Marivaux, peindre aussi bien les finesses et les élégances de l’aristocratie que les fortes vertus du Philosophe sans le savoir. Une marquise s’ennuie à la campagne, un jour de pluie, un de ces jours où l’on a le cœur bête ; le désarroi de son imagination lui inspire un singulier coup de tête. Voyant passer un officier à cheval sur la route, elle le fait monter, s’annonce sous un nom d’emprunt, et, sur le point d’être surprise à table, en fausse bonne fortune, par le marquis, elle l’enferme dans un cabinet. Jouant alors avec la jalousie de son mari, elle lui propose une gageure imprévue et l’amène à refuser lui-même la clef du cabinet qu’il avait impérieusement exigée, à demander pardon et payer le pari perdu. À son tour, un peu honteuse de son imprudence, elle confesse les torts de la finesse, et que le désir de montrer de l’esprit fait dire ou commettre bien des sottises. Ce rôle si nuancé, si difficile, Mme de Polignac n’avait pas craint de l’aborder ; quant à Marie-Antoinette, elle avait celui d’une petite soubrette aussi émerveillée qu’effrayée de l’audacieuse dextérité de sa maîtresse. Et les spectateurs devaient s’étonner un peu en l’entendant, elle, reine de France, débuter par ces mots : « Nous nous plaignons, nous autres