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véritable forêt de pierre, aux troncs et aux feuillages entrelacés. C’est que par là entrent et sortent les enfans, les couples, les cercueils ; et le génie celtique épris de l’arbre, symbole de la vie, et de la pierre, symbole de l’éternité, recouvre d’une sombre tendresse ces âmes qui viennent et qui s’en vont. Partout on sent que la vieille église est la maison commune des morts et des vivans, qui joint le passé au présent et à l’avenir. Dans cette dure et triste Bretagne, obsédée par la mer, image de l’infini matériel, qui enfante et dévore, gouffre de vie et de néant, le moindre clocher qui se dresse derrière un coteau évêque un autre infini, celui de l’âme, où rien ne se perd, où tout se réalise et s’accomplit.

Ces pensées me poursuivaient par une claire après-midi d’été, pendant que j’approchais de la petite ville de Saint-Pol-de-Léon. Assise sur une éminence qui s’abaisse en pente douce vers une baie tranquille, dominée par les deux hautes aiguilles de la cathédrale et de la chapelle du Creizker, elle dort en plein jour d’un sommeil séculaire, enveloppée du sérieux et du silence qui tombe de ses deux églises. Des rues désertes ; de beaux jardins derrière de grands murs ; un air de presbytère et de couvent. Aux abords de la cathédrale, l’aspect moyenâgeux s’accentue. Des rues entières se composent d’anciens hôtels nobles bâtis en granit d’un gris noirâtre. Des cordonniers, des boulangers, des tisserands travaillent sous les fenêtres cintrées que surmontent de hautaines armoiries. Le porche latéral par où l’on pénètre dans la cathédrale est d’une poésie légendaire qui vous transporte d’un seul coup aux âges de foi naïve. Un feuillage de granit protège le portail extérieur. Au fond du porche, contre la colonne qui divise en deux la porte intérieure ouvrant sur l’église, se dresse un Christ majestueux. Sa main gauche tient le globe du monde, sa droite est levée dans l’attitude de l’enseignement. Les traits un peu massifs, mais pleins de noblesse, expriment la force et la douceur victorieuse. Dans son calme, ce Christ a vraiment l’air de porter l’univers dans sa main et de montrer la voie du ciel. Adossé au mur latéral, saint Pierre tient la clef ; en face de lui, saint Jean porte le calice. Les deux disciples se sont rangés avec une obédience respectueuse pour laisser passer le maître. La solidité avec laquelle ils tiennent la clef de la foi et le calice de l’amour prouve leur conviction inébranlable. La teinte bleuâtre du granit gris donne à ces trois figures, en qui se résume l’origine du christianisme, quelque chose de spectral et de supra-terrestre. L’ogive de la porte s’encadre d’un véritable berceau de feuilles de chêne, de lis et de roses sculptées. On dirait que la nature transfigurée et