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rayonnement de sa foi. La légende résume ces événemens en une série de fresques, où le saint nimbé d’or traverse victorieusement la sombreur des forêts druidiques. Les épisodes réels alternent avec les récits symboliques où la vieille poésie païenne et le mysticisme chrétien, où le naïf et le grandiose se mêlent familièrement. On voit d’abord l’apôtre parcourir le pays sur un char attelé de deux buffles blancs et prêcher les foules. Les brigands, les enfans, les femmes, les petits chefs accourent et l’écoutent. Un jour, il rencontre les deux filles du roi Laégaïr qui lavent leur robe de noce au bord de la fontaine ; il les convertit en leur parlant de son Dieu. Mais c’est en attaquant le druidisme à son centre que Patrice frappa le grand coup. Au-dessus de la plaine de Tara s’élevait le palais du roi Laégaïr, chef suprême de l’Irlande. Tous les trois ans, à l’équinoxe du printemps, on construisait sur la terrasse de ce palais un grand bûcher couronné de fleurs. Le roi d’Irlande et cinq autres rois tributaires, avec leurs druides, leurs bardes et leurs juges, se réunissaient autour du bûcher sacré. À minuit, le grand druide y mettait le feu après avoir invoqué le soleil, la lune et tous les dieux. Quand la flamme montait dans le ciel, les chefs assemblés en neuf cercles dans la plaine avec leurs chars de guerre, leurs chevaux et leurs armées poussaient une immense acclamation ; les feux éteints se rallumaient dans toute l’Irlande, et l’année celtique recommençait. Or, en l’année fatidique, le grand druide allait mettre le feu au bûcher quand le roi vit briller une petite lumière blanche, sur le champ où l’on enterrait les esclaves. Le roi demanda au druide ce qu’était cette lumière sacrilège. « C’est celle de l’homme fatal au bâton recourbé dont nous t’avons prédit l’arrivée, dit le druide Dubtak. Ne le laisse point venir ici ; autrement, il nous dominera tous et te dominera toi-même. » Le roi, de plus en plus courroucé, fit amener Patrice de force. Il parut un cierge à la main, suivi de ses disciples qui portaient des flambeaux allumés et répondit aux menaces du roi. « — Ton bûcher est celui de l’idolâtrie et de la haine. Mais nous, chrétiens, adorateurs du vrai Dieu, nous portons des torches de cire d’une suave odeur, en cette nuit où ressuscita Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous veillons en l’honneur de la fleur de Jessé, à la lueur des torches formées du suc des fleurs. La cire n’est point la sueur que le feu fait couler du pin ; elle n’est point le produit des larmes que la cognée fait verser au cèdre ; c’est une création pleine de mystère et de virginité qui se transforme en devenant blanche comme la neige. Nos âmes sont comme nos flambeaux et nos flambeaux sont les présages du soleil éternel. Nous les purifions et nous veillons pour ressusciter un jour avec le Seigneur de joie ! — Pourquoi es-tu venu dans mon royaume ? dit Laégaïr fasciné et troublé malgré lui. — J’en atteste Dieu et les