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religion et de leur initiation traditionnelle. Les gens d’église, qui voyaient en eux des rebelles et des rivaux, les considéraient d’un mauvais œil, les appelaient païens, relaps, hérétiques, et les attaquaient avec une extrême violence. Mais les héritiers des druides étaient encore très puissans, protégés des chefs, vénérés du peuple. Carmélis se réfugia auprès d’eux. Taliésinn accueillit la nonne proscrite avec bonté et promit d’élever l’enfant.

Sur une des côtes du pays de Galles s’ouvrait jadis une grotte aujourd’hui disparue sous un éboulement, appelée la grotte d’Ossian. Comme la grotte de Fingal, dans les Hébrides, elle était formée par des colonnes de basalte serrées les unes contre les autres et se perdait dans les entrailles du mont en salles naturelles. C’est là que les bardes des anciens temps tenaient leurs réunions secrètes. C’est là aussi qu’eut lieu la consécration de leur prophète, de celui qui devait jouer un si grand rôle dans les annales celtiques. Cette consécration était toujours précédée d’une épreuve solennelle.

Au pied de la montagne sacrée, à la sortie de la grotte d’Ossian, s’étendait une lande sauvage que les moines flétrirent plus tard du nom de lande maudite. Elle était semée d’un cercle de pierres druidiques. Au centre de ces pierres, il y en avait une colossale en forme de pyramide. La nature ou la main de l’homme y avait creusé une sorte de niche où l’on montait par un escalier de roches superposées. On appelait ce menhir la pierre de l’épreuve ou la pierre de l’inspiration. C’est là que l’aspirant devait dormir une nuit entière. Au lever du soleil, le chœur des bardes, sortant de la montagne sacrée par la grotte d’Ossian, venait réveiller le dormeur. Parfois, à leur chant, on le voyait se dresser devant l’astre naissant, et, frémissant d’extase, raconter son rêve divin en un chant rythmique. Alors, il recevait le titre de barde prophète. Il était considéré comme ayant l’Awenniziou, c’est-à-dire qu’un génie divin, son Awenn, son génie à lui, qui, selon la doctrine ancienne, plane sur l’homme, parlait par sa bouche. Mais souvent il arrivait que l’aspirant avait fui avant l’aube, ou que, saisi d’épouvante, il descendait de la roche en proférant des paroles insensées. En ce cas, il était déchu de sa dignité. La tradition populaire du pays de Galles a conservé le souvenir de cette épreuve pendant des siècles dans la légende de la pierre noire du Snowdon. Quiconque, dit-elle, dort une nuit sur la pierre noire de l’inspiration se réveille poète ou fou pour le reste de ses jours.

C’est là qu’un soir le vieux Taliésinn, entouré du collège bardique, conduisit son disciple Merlin et lui dit : « Nous t’avons enseigné ce que nous savons ; nous t’avons montré la clé des