Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/944

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut-être, Bach ne l’emporte par le mouvement irrésistible, par la folle allégresse du rythme, par l’élasticité d’un thème qui bondit et rebondit comme la grêle sur les toits.

Mais au bout de quelques mesures, devant les mots si simples : Et in terra pax hominibus, Beethoven reprend l’avantage. Au lieu de les faire traîner comme Bach par les cinq parties du chœur sur de fastidieuses vocalises, Beethoven tout à coup se laisse, pour ainsi dire, tomber du ciel sur terre. En quelques mesures, charmantes par leur douceur et leur brièveté même, il apporte la divine promesse de paix à la bonne volonté des hommes ; puis, d’un nouvel essor il remonte. Laudamus te ! glorificamus te ! Voici qu’il plane encore en pleine gloire pour encore redescendre, se mêler à ses frères humains et remercier avec nous du fond de notre vallée le Dieu qui règne sur les hauteurs. Gratias agimus tibi. Oh ! l’exquise action de grâces et que cette onction, cette pieuse déférence, cette phrase au contour modeste, que tout cela est loin de la sécheresse de Bach et de ses remercîmens fugues !

Et puis, dans la composition même du Gloria, Bach reste au-dessous de Beethoven. Le Gloria de Beethoven est d’une seule pièce ; celui de Bach, au contraire, en sept ou huit morceaux auxquels manque un trait d’union, par exemple, cette tonalité de majeur et ce motif initial où, par des rentrées inattendues, Beethoven à chaque instant vient se retremper.

Mais, çà et là, chez Bach, que de détails à relever ! Voici, par exemple, un chant de soprano : Laudamus te, où la ligne vocale, toute fleurie d’ornemens gothiques et liée note par note à la ligne d’accompagnement soit pour la doubler, soit pour la contredire, a l’air d’une leçon de solfège et de contrepoint ; mais en revanche, le seul prélude de violon est un trésor d’invention mélodique. Plus aimable encore, avec ses sonorités de cristal et ses appoggiatures caressantes, le prélude pour violon et flûte de certain duo, d’ailleurs trop long et scolastique : Domine Deus ! Enfin, je ne sais pas de plus doux appel à la miséricorde que l’air de contralto : Qui sedes ad dextram Patris, accompagné par le hautbois d’amour. La seule ritournelle instrumentale en est sans prix. Mais comment, à qui ne l’a pas entendue, faire comprendre ou deviner la courbe élégante d’une mélodie qui ploie et retombe ? Comment expliquer surtout cette alliance d’une forme encore archaïque, et de ce sentiment moderne, qui n’est plus tout à fait la douleur pour ainsi dire classique, par exemple, celle du Kyrie, mais une tristesse plus vague, celle que les grands artistes, de Lucrèce à Albert Durer et Sébastien Bach, ont parfois devinée : la mélancolie ? Toi qui sièges à la droite du Père. Il semble d’abord qu’à ces paroles glorieuses ne conviennent pas ces notes déjà plaintives ; mais bientôt la voix ajoute : Aie pitié de nous, et on comprend alors que si